revenuuniversel-illLe Figaro – 11/10/2016

Le revenu universel est à la mode. Voiture-balai des utopies déçues, rémanence marxiste et soixante-huitarde aujourd’hui remise à la mode par des libéraux forcément «modernes», le revenu universel veut répondre à plusieurs objectifs: nous retirer notre mauvaise conscience face aux «pauvres», enclencher l’entrée dans un monde de bonheur partagé dénué de contraintes économiques et sociales, et surtout permettre au bon sauvage qui sommeille en chacun de nous d’exprimer sa générosité naturelle.

Sans aucune condition

De quoi s’agit-il précisément? Qu’on le nomme allocation universelle, revenu de base ou d’existence ou citoyen, le revenu universel est construit sur une idée simple dont il faut comprendre la caractéristique essentielle: c’est une somme mensuelle fixe, suffisamment élevée pour ne plus avoir besoin de travailler, donnée à tous les résidents d’un pays (nationaux ou non), et sans aucune condition. Le dernier terme est central: sans aucune condition.

L’allocation universelle n’a donc rien à voir avec la proposition d’une allocation sociale unique (ASU) pour encourager la reprise d’une activité. L’ASU remplacerait la prime d’activité, l’allocation logement (aide personnalisée au logement, allocation de logement familiale et allocation de logement sociale), l’allocation adulte handicapé, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), les aides communales et le RSA socle, avec un suivi personnalisé.

D’ores et déjà, la prime d’activité a remplacé la prime pour l’emploi (PPE) et le RSA d’activité depuis le 1er janvier 2016. Il s’agit, avec l’ASU, d’aller au bout de cette démarche de simplification et de suivi individualisé. Une telle réforme permettrait d’économiser 2 milliards d’euros de frais de gestion et 3 milliards d’euros de prestations tout en favorisant le retour au travail. L’ASU serait fiscalisée, sachant que cette fiscalisation ne toucherait pas les personnes en difficulté qui seraient par nature en dessous des seuils. L’ASU serait versée par l’État avec un service issu de la fusion des caisses d’allocations familiales, des caisses communales d’action sociale et des services sociaux des départements.

La question n’est donc pas celle d’un revenu minimum mais celle de sa conditionnalité. Les tenants du revenu universel inconditionnel le définissent comme «un droit inaliénable, inconditionnel, versé de la naissance à la mort». Ce revenu inconditionnel serait versé indépendamment de la situation familiale et financière, en sorte qu’un milliardaire y aurait droit. Il serait cumulable avec tous les autres revenus et des allocations.

Il s’agit, selon ses promoteurs, d’éliminer la pauvreté et de permettre à chacun de travailler ou de ne pas travailler. À leurs yeux, l’individu, naturellement bon, éduqué et contribuant sans relâche au bien commun, n’a besoin d’aucun suivi.

Trois fondements implicites erronés

Or les trois fondements implicites du revenu universel sont faux. L’homme n’est pas un bon sauvage. La philosophie politique du XVIIe siècle, à la différence de Rousseau au siècle suivant, considère que l’homme est un loup pour l’homme et que seul un État fort, appuyé sur un État de droit fermement appliqué, maintient l’ordre naturel. Rousseau, qui a mis ses enfants à l’Assistance publique tout en écrivant un traité sur l’éducation, a eu besoin, pour sa part, de supposer que l’homme était un bon sauvage perverti par la société pour accoucher du concept de volonté générale. Cette dernière permet d’échapper aux contraintes économiques et sociales en confiant le bien-être de la société à une avant-garde éclairée chargée d’interpréter la volonté générale. Cette avant-garde prendra ensuite la forme de la dictature du prolétariat. Et c’est une nouvelle avant-garde qui, aujourd’hui, veut nous emmener sur le chemin d’un revenu inconditionnel pour notre bien, et accessoirement pour le sien car elle peut ainsi prendre des poses généreuses face aux réalistes.

L’homme ne s’éduque pas naturellement, sauf quelques exceptions. Il doit être guidé par des maîtres pour maîtriser les savoirs construits par des siècles d’effort intellectuel. Sans école obligatoire, pas de peuple éduqué. Sans maîtres exigeants, pas d’enfants intellectuellement autonomes pour comprendre le monde.

De même, les individus en difficulté ont souvent des problèmes personnels considérables (physiques et psychiques, illettrisme) qui nécessitent un suivi personnalisé par des travailleurs sociaux et des éducateurs. Ceux qui suivent au quotidien la pauvreté et l’exclusion savent qu’elles ne résultent pas seulement de la faiblesse de la croissance et du manque d’emplois, même si l’emploi constitue un des fondements de la dignité humaine.

Le revenu universel inconditionnel est triplement vicié sur les plans philosophique, économique et social. C’est la énième tentative d’une avant-garde faussement généreuse qui entend désarmer la société. Les libéraux qui s’en emparent veulent réformer la protection sociale sans rien connaître des populations en difficulté. Milton Friedman, lui, voulait fixer un éventuel revenu universel à un niveau très bas ne permettant pas de vivre sans travailler.

Les non-libéraux favorables au revenu universel inconditionnel, pour leur part, ont en tête de favoriser la dimension non marchande de la vie et une société alternative. Encore faudrait-il qu’il reste un nombre suffisant de bonnes poires pour la financer. Rien de bon ne naîtrait du revenu universel inconditionnel. Laissons cette chimère aux belles âmes.

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