Le Figaro – 05/12/2019

Pour Christian Saint-Etienne, la réforme n’a plus grand rapport avec l’idée initiale d’Emmanuel Macron.

Initialement, le gouvernement avait annoncé le remplacement des 42 régimes de retraite actuellement opérationnels en France par un régime universel, en sorte qu’un euro cotisé rapporte la même prestation à la retraite pour tout le monde. Qui peut être contre une telle proposition ?

Mais dans aucun pays au monde, il n’y a qu’un seul régime de retraite. On a insisté sur le fait que le régime suédois à points était à copier : le même régime pour tous serait la panacée. Cependant, il apparaît qu’en Suède, au-delà d’un revenu de 40 000 euros annuel, il y aurait plusieurs centaines de régimes prélevant de lourdes commissions. Ensuite, on a appris que le régime voulu par le gouvernement serait non pas universel mais unique et comprendrait des poches spéciales pour divers cas particuliers (régimes spéciaux, professions indépendantes, etc.). Le projet originel est mort.

Or s’il y a actuellement trois grands régimes (salariés du privé, salariés du public et indépendants), on compte plusieurs régimes complémentaires (Agirc-Arcco) ou professionnels du privé (avocats, médecins, etc.) ayant ensemble accumulé plus de 140 milliards d’euros de réserves sur leurs cotisations propres au cours des dernières décennies. Les régimes professionnels sont excédentaires et versent même, pour certains, des contributions au régime général.

De fait, la réforme Delevoye n’est plus celle promise par Emmanuel Macron mais un système rigide préparant une spoliation colossale des régimes complémentaires et professionnels qui seront délestés de leurs réserves.

En outre, cette réforme prépare le passage d’un régime de retraite par répartition en annuités à un régime à points. Or le régime en annuités est social, car il nivelle beaucoup les différences de revenus ; et il est transparent, car tout le monde comprend que lorsqu’une profession doit cotiser 43 ans, ce n’est pas la même chose que 37 ans pour une autre.

En revanche, un système à points est financier et opaque. Financier, car une commission calcule annuellement la valeur du point en fonction de la croissance économique ou d’autres critères. Opaque, car on peut attribuer, et on attribuera au cours des décennies futures, des points bonus aux professions les mieux organisées sans que la population comprenne réellement ce dont il s’agit. Un gouvernement autoritaire pourrait manipuler le régime à sa guise en baissant fortement la valeur du point.

Enfin, une projection honnête du nouveau système, avec les caractéristiques annoncées, en prenant en compte une croissance annuelle potentielle de 1,25 % sur les 40 prochaines années (dont 0,75 % de productivité et 0,5 % de croissance par immigration de population à faible compétence), qui est peut-être optimiste, conduit à penser que le poids des prestations de retraite devrait passer de 14 % du PIB aujourd’hui – contre moins de 10 % du PIB en moyenne dans les pays comparables à la France (moyenne OCDE) – à 15 % du PIB, voire 16 % du PIB, à moins que la valeur du point ne baisse fortement.

Que faire pour revenir à l’idée originelle d’un régime universel à plusieurs gestionnaires ? L’idée clé est la transparence dans la durée, ce que paradoxalement ne garantit pas le système à points tant il est manipulable.

Il faut donc, pour protéger les travailleurs aujourd’hui et demain, rester en régime par répartition, en annuités, jusqu’à deux fois le plafond de la Sécurité sociale (PSS), voire 1,5 PSS, mettre en place des régimes complémentaires en répartition ou capitalisation au-delà, selon les désirs des professionnels et des assurés, tout en alignant les régimes sur les mêmes règles avec « portabilité » des droits d’un régime à l’autre.

En outre, pour limiter le poids des retraites dans un contexte de vieillissement en bonne santé de la population, il faut passer, en six ans, à un âge de départ de 64 ans et à une durée de cotisation de 44 ans. Il est nécessaire de compléter ces règles par un système de décote/surcote qui autorise de partir à 62 ans pour ceux qui ont déjà 44 ans de cotisation et permettre de travailler jusqu’à 67 ans pour ceux qui n’ont pas les annuités, ou avec surcote pour ceux qui les ont. Enfin, 67 ans resterait l’âge du taux plein sans condition de durée de cotisation.

Dans ce cadre systémique, on peut avoir un régime universel avec cinq gestionnaires : un pour les salariés du privé, un pour les salariés du public, un pour les indépendants, un pour les régimes spéciaux du public et un pour les régimes professionnels du privé, car toutes ces professions ont des comportements et des attentes différentes dans la vie. On passerait de 42 régimes à 5 avec les mêmes règles et une portabilité d’un régime à l’autre avec les mêmes codifications informatiques assurant une interopérabilité complète. Chaque régime s’autogérerait, en répartition ou en capitalisation, avec interdiction de déficit. Le salaire de référence devrait être celui des 25 meilleures années pour tous, ce qui laisserait de côté 19 années où l’on a pu être en difficulté professionnelle. Alors que le système en points comptabilisera les 44 années de cotisation, les bonnes comme les mauvaises.

On pourrait prévoir des bonifications de pénibilité de deux années et des bonifications pour enfants de deux années au total, toutes les bonifications étant plafonnées à trois années maximum. Ainsi, dans le cas de cumul des bonifications, on pourrait partir à 61 ans avec 41 années de cotisations. Il serait possible d’allouer une bonification spéciale aux militaires, policiers et pompiers de deux années pour ceux participant aux opérations, soit une possibilité de départ à 59 ans avec 39 ans de cotisation.

Tout serait clair. Il n’y aurait pas de poussière sous le tapis, pas de points bonus, pas de commission qui dans 12, 20 ou 25 ans, aux mains d’un parti extrémiste, baisserait la valeur du point ou en attribuerait à ses amis par clientélisme. On s’éviterait aujourd’hui des mois de grève et de violences dans le contexte géostratégique explosif de 2020.

L’intuition originelle de Macron était l’universalité et la transparence entre régimes. Revenons-y urgemment !

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