Par Jean-Louis Chambon, Président du Prix Turgot
A chaque nouvelle année, on se plait à attendre (il arrive même qu’on les redoute…), les « nouvelles parutions » classiques des quelques économistes nationaux qui font référence, et stimulent par leurs talents la littérature et la réflexion économique au sens large du terme. Christian Saint-Etienne est de ceux-là. Economiste et (ancien) homme politique, universitaire et auteur de nombreux ouvrages marquants, il peut se prévaloir d’une expérience assez unique, à l’international (FMI) et en haute finance (dirigeant de groupe bancaire) qui lui ont valu avec la reconnaissance de ses pairs des Prix prestigieux : Grand Prix Turgot en 2012 et en 1994 – pour le « Combat de la France », le prix Vauban 2013, Prix de l’Académie des sciences morales et politiques, entre autres. Il sait se montrer fidèle, comme il l’est en amitié, à ce rendez-vous annuel, à la rencontre de ses nombreux lecteurs. Son nouvel essai, remarquablement documenté et riche de ses précédents travaux académiques, paru les tous premiers jours de 2023, braque le projecteur sur le nouvel ordre mondial qui s’installe à marche forcée, sous fond de conflit sino-américain pour la domination mondiale.
Simultanément l’Europe et la France « pataugent », tandis que l’Allemagne tente (vainement ?) de confirmer sa position dominante en Europe et que la Russie vient de choisir de rompre avec tous ses engagements et son statut de membre du conseil de sécurité des Nations Unies en déclarant une guerre dont elle n’assume pas le nom, à un Etat souverain, l’Ukraine.
Il reste que les principaux conflits économiques et stratégiques sont « ordonnés par la rivalité pour le leadership entre la Chine et les Etats-Unis ». Ces deux « puissances déterminées » qui s’imposent dans la « révolution iconomique[1] », relèguent de facto en deuxième division des acteurs déclinants comme l’Union européenne, l’Inde, la Russie et hélas… la France. L’auteur s’interroge sur le point de savoir si ce nouveau conflit mondial, combat frontal, commercial, numérique, voire de « comparaison de pensées » entre Biden (qui n’est pas aussi éloigné sur ce point de celle de Trump) et le « nouvel empereur » Xi est… inévitable ? La nouvelle « marche en avant » vers une Chine moderne, et la prise de conscience des limites nécessaires au rêve Américain d’incarner pour la nuit des temps la « Nation indispensable » qu’ils n’ont cessé de penser, permettront-elle, grâce à ces points de contacts entre les deux géants, d’avancer vers la création d’un ordre mondial pacifié ? L’auteur veut y croire tout en étant particulièrement lucide sur la voie de passage étroite entre le « piège de Thucydide » (une puissance dominante entre en guerre contre une puissance émergente par peur de sa montée en puissance) et celui de « Kindleberger » (la puissance dominante n’a plus les moyens économiques et financiers de stabiliser l’économie mondiale, tandis que celle, montante, ne veut pas exercer le leadership).
Il reste que « dans le cadre de ce duopole conflictuel sino-américain tous les conflits sur la planète sont instrumentalisés pour faire avancer les intérêts de l’un ou de l’autre des deux géants ». Mais, cette analyse géostratégique mondiale porte tout autant par effet miroir, sur la position de la France dans le Monde : le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas place dans ce chapitre pour la langue de bois : « […] encore 4e puissance mondiale en 1999, l’effondrement relatif du pays s’est accéléré […] 7e en 2023 et chute vers la 10e ou 12e place, gavée de déficits, une insécurité dans les grandes villes parmi les derniers rangs internationaux et une Ville Lumière qui s’acharne à devenir une Ville Poubelle ».
Le basculement de leadership européen de la France à l’Allemagne s’est traduit indiscutablement par l’affaissement de la France. Dans le nouvel ordre mondial, la France joue son existence de puissance stratégique significative. En « libéral modéré », l’auteur reste convaincu que le défi peut être relevé. Mais, « il ne faut pas tout attendre d’un homme (ou d’une femme) providentiel, doté d’une baguette magique. » Tout le mérite de cet ouvrage stimulant est de montrer qu’une voie existe et qu’un programme peut être mis en oeuvre pour rebondir, si – et seulement si – les Français en comprennent l’urgence et le veulent vraiment avec trois priorités : réindustrialiser, reconstruire l’école, réarmer.
Cet essai, d’une rare densité, s’appuyant pertinemment sur des notes nombreuses reprenant des contributions précédentes de l’auteur, apporte des éléments de réponse argumentés aux grandes questions géostratégiques. Il sera tout autant précieux pour un large public, praticiens universitaires et étudiants auxquels il pourra servir de « bible » de politique économique et géopolitique.
[1] L’iconomie, du grec eikon (image) et nomos (organisation) est un néologisme d’origine brésilienne (Schwartz) et cher à l’auteur, qui désigne l’économie des icônes, de l’information et de la connaissance.
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