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Le Journal du Dimanche – 10/12/2023

La Banque centrale européenne (BCE a augmenté ses taux le 14 septembre 2023, portant le taux de refinancement à 4,5%, après que ce taux a été maintenu à moins de 1,5% de 2011 à mars 2016, date à laquelle il passait à 0% jusqu’en juillet 2022. Depuis juillet 2022, la BCE a procédé à dix hausses de son taux principal de refinancement en faisant l’hypothèse, y compris lors de la dernière hausse en septembre 2023, que l’inflation se maintiendrait à un niveau élevé sur l’ensemble de l’année 2023 et résisterait en 2024.

Or quelques semaines après cette dernière décision, l’inflation baisse d’autant plus vite que l’activité économique dans la zone euro est atone et devrait rester décevante en 2024. L’inflation (IPCH – indice des prix à la consommation harmonisé) est tombée à 2,4% en novembre 2023 dans la zone euro et à 3,8% en France (3,4% pour l’indice classique à la consommation pour la France). Les prix des actifs immobiliers, notamment commerciaux, dégringolent depuis un an. L’Allemagne est entrée en stagnation et la France est en difficulté avec un double déficit (public et balance commerciale) qui apparaît de plus en plus ingérable.

C’est dans ce contexte dégressif que la présidente de la BCE vient d’annoncer une accélération de la contraction du bilan de la Banque centrale. La BCE peut-elle davantage être à contre-temps, alors qu’elle le fut déjà lors de la crise de 2008, qu’il a fallu la décision de Mario Draghi de juillet 2012 pour éviter la catastrophe – explosion de la zone – et que la BCE a trop tardé à relever doucement ses taux en 2021-2022 ? J’ai fait partie des rares personnes qui ont appelé la BCE à remonter son taux de refinancement à 0,5% puis progressivement 1% en 2021. Mais ce taux est resté nul pendant cette période avant de prendre brutalement l’ascenseur à l’automne 2022.

Une réduction trop rapide du bilan de la Banque centrale pourrait provoquer une crise du financement du sud de la zone euro qui conduirait la BCE à rouvrir en urgence les vannes du crédit, brisant ainsi la confiance des marchés financiers dans la conduite de la politique financière de l’Europe. Car la politique monétaire de la zone euro doit être analysée conjointement avec la politique budgétaire conduite par les vingt Etats membres de la zone, des Etats qui n’évoluent pas de la même façon au même moment.

Faut-il donc souhaiter une baisse rapide des taux d’intervention de la Banque centrale, tout en réduisant rapidement le bilan de la BCE, ou réduire modérément les taux et très progressivement le bilan de la banque ? Une réduction trop rapide des taux porterait en germe une reprise de l’inflation des prix à la consommation, mais surtout une accélération de l’inflation salariale conduisant à une boucle de prix-salaire rapidement ingérable.

Comme le marché des prêts immobiliers en volume s’est stabilisé en octobre-novembre 2023, du moins en France, et que les demandes de hausse salariale restent élevées, il convient de privilégier une approche progressive de baisse modérée des taux conjointement à une baisse très contrôlée des encours de la Banque centrale. On pourrait imaginer de ramener le taux de refinancement par quatre baisses de 0,25%, de 4,5% actuellement à 3,5% en juillet 2024, avec une baisse mensuelle modérée de l’encours de crédits de la Banque centrale. Sauf si l’activité dans la zone euro devait plonger en 2024 sous l’effet d’une aggravation de la guerre en Ukraine, d’une nouvelle crise énergétique ou pandémique, le taux de refinancement à condition que l’inflation recule en 2024, pourrait être ramené à 3% à la fin de 2024.

Il ne faut jamais oublier que la conduite du policy mix dans la zone euro, qui recouvre la conduite simultanée des politiques monétaires, budgétaire et de change, est compliquée en raison, d’une part, de la dépendance énergétique de l’Europe aux pétrole et gaz importés, d’autres part, de la fêlure entre le nord et le sud de la zone euro. Cette opposition ne résorbe pas, avec des pays du nord ayant gardé une industrie puissante, une dette publique faible et une position financière extérieure nette fortement positive, et des pays du sud très endettés et qui, pour certains, cumulent double déficit et position financière extérieure nette fortement dégradée, comme la France.

Les Echos – 22/06/2022

Un effort budgétaire supplémentaire est nécessaire pour adapter nos capacités militaires au contexte actuel et porter la nécessaire évolution de nos équipements.

La guerre en Europe est un fait stratégique majeur qui impose de bâtir une économie duale – militaire et civile – industrielle et stratégique puissante. La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a prévu un premier renforcement de nos capacités militaires après vingt ans de réduction, mais le format 2025 envisagé en 2018 n’est plus en phase avec le contexte d’une compétition militaire accrue entre la Chine et les Etats-Unis, de la guerre en Ukraine ou de la montée en puissance de l’Allemagne, la Turquie ou l’Algérie. Le budget des Armées est fixé à 41 milliards d’euros en 2022 et devait atteindre 44 milliards d’euros en 2023, ce que beaucoup d’experts mettaient en doute compte tenu du gel répété de crédits militaires depuis le vote de la LPM.

Or nos armées sont démunies de drones ou de missiles, de capacités antimissiles, de moyens de transport et de munitions. De plus, le format capacitaire envisagé pour 2025 est totalement décalé par rapport au souhaitable. Il repose sur une force opérationnelle terrestre (FOT) de 77.000 hommes, 200 chars, 260 hélicoptères, 109 canons Caesar, 13 systèmes de lance-roquettes (LR) et une vingtaine de drones tactiques. Alors qu’un format sérieux envisagerait pour 2030 (format capacitaire 2030 souhaitable) une FOT de 90.000 hommes avec 250 chars, 320 hélicoptères, 200 Caesar, 50 LR et 200 drones tactiques armés, accompagnés des supports nécessaires.

De même, le format 2025 naval prévoit 17 frégates, 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) alors que le format 2030 conduirait à se doter rapidement (avant 2030), en faisant un effort considérable sur nos capacités industrielles, de 22 frégates, 5 SNLE et 9 SNA, avec les supports nécessaires. Et il faut une centaine de drones armés adaptés aux besoins de la marine.

Enfin, le format 2025 prévoit des forces aériennes limitées à 253 avions de combat en parc, avec un taux de disponibilité faible, dont 171 Rafale (42 pour la marine), 4 Awacs, 15 avions ravitailleurs et 43 avions de transport tactique sans gros-porteurs. Le format 2030 conduirait à se doter avant 2030 de 300 avions de combat, dont 220 Rafale (dont 80 Rafale F4), 6 Awacs, 20 avions ravitailleurs, 60 avions de transport tactique et une dizaine de gros-porteurs.

Le budget de recherche-innovation-développement (BRID) doit passer de 1 milliard d’euros en 2022 à 3 milliards d’euros en quatre ans, par incrémentation annuelle de 500 millions par an jusqu’en 2030 (BRID 2030 : 5 milliards d’euros), tandis qu’un Fonds stratégique d’investissement défense (FSID) dans la Base industrielle et technologique de défense (BITD) doit être doté de 2 milliards d’euros par an, pendant dix ans, afin de contribuer à la réindustrialisation duale civile-militaire.

Cet effort de reconstruction, qui devra être poursuivi pendant au moins dix ans, peut être mis en oeuvre avec un budget militaire, hors FSID et hors pensions et fonds de concours et attributions de produits rattachés, progressant, par incrémentation annuelle de 3 milliards d’euros, de 41 milliards d’euros en 2022 à 56 milliards d’euros en 2027 et 71 milliards d’euros en 2032. Si ce projet est voté à l’automne 2022, le budget – FSID inclus – passerait de 46 milliards d’euros en 2023 à 73 milliards d’euros en 2032.

En supposant que le PIB en volume progresse de 1,5 % par an et les prix de 2 % par an de 2023 à 2032, le budget militaire – FSID inclus à partir de 2023 – passerait de 1,54 % du PIB en 2022 et 1,67 % en 2023 à 1,83 % en 2027 et 1,94 % du PIB en 2032. Toute hausse supplémentaire de l’inflation serait reportée sur le budget militaire pour conserver ces proportions. L’effort de reconstruction de notre puissance militaire, ici proposé, est à la fois stratégiquement nécessaire, budgétairement très raisonnable, et industriellement souhaitable.

Photo par Mat Napo sur Unsplash

Interview de Christian Saint-Etienne au Point – 20/06/2022

Pour l’économiste Christian Saint-Étienne, seul un accord entre Ensemble et LR permettra de faire les réformes nécessaires afin d’éviter la catastrophe.

Christian Saint-Étienne, professeur titulaire de la chaire d’économie au Conservatoire national des arts et métiers, vient de cosigner une étude sur l’avenir des entreprises de taille intermédiaire pour le compte du laboratoire d’idées l’Institut du bien commun. À l’entendre, il est urgent de faire passer des réformes pour que la France puisse enfin atteindre le même niveau de compétitivité industrielle que ses grands voisins européens. Or, estime-t-il au regard de la nouvelle donne à l’Assemblée nationale, aucune réforme économique ne pourra passer si Emmanuel Macron ne parvient pas à conclure avec Les Républicains un contrat de coalition à la manière allemande. Entretien.

Le Point : Quelles peuvent être les conséquences pour l’économie du pays de l’absence de majorité au Parlement ?

Christian Saint-Étienne : Tout le monde parle de France ingouvernable, de crise de régime… Cela me surprend, car ce n’est pas du tout le constat que je fais. Selon moi, deux éléments clés ressortent de cette élection. Premièrement, si vous calculez la somme de l’ensemble des députés des Républicains, d’Ensemble et de divers droite, vous voyez une majorité du peuple français qui est au centre droit. Et personne ne le dit ! Le deuxième enseignement, c’est que les Français ont forcé Emmanuel Macron à faire des compromis. À chaque fois que l’on voit un compromis en Allemagne, on dit que c’est formidable, et là ce serait une mauvaise nouvelle ? En vérité, je pense que les Français ont millimétré leur vote. Ils veulent être gouvernés au centre droit, notamment pour la sécurité – des jeunes que l’on dit « mineurs isolés » dépouillent en ce moment des touristes dans les environs de la tour Eiffel ou à Rennes –, la souveraineté et le développement économique, puisque le pouvoir d’achat est leur priorité. Et ils exigent une politique de compromis. Ils ont réélu Emmanuel Macron car ils ne voulaient pas de Marine Le Pen comme présidente de la République. Mais aux législatives, ils précisent le message.

Croyez-vous à une alliance LR-Ensemble ? Pour le moment, ils ne s’entendent pas…

Je ne sais pas si ça va se faire. Mais il est certain qu’il va y avoir des négociations entre les macronistes et les Républicains. Si Emmanuel Macron leur offre deux ministères régaliens et un Premier ministre issus de leurs rangs, ils diront peut-être oui. Et je le dis en tant que centriste. Le premier choix d’Emmanuel Macron pour le poste de Premier ministre était la LR Catherine Vautrin, avant qu’il ne nomme Élisabeth Borne sous la pression de certains de ses proches. Or, qui a été battu ? Richard Ferrand et Christophe Castaner, ceux qui s’étaient le plus opposés à sa nomination. Il peut y avoir un contrat de gouvernement à l’allemande entre les LR et les macronistes.

Vous attendez-vous à une hausse des écarts de taux, les fameux « spread », entre la France et les pays européens réputés plus rigoureux, comme l’Allemagne ?

Imaginons que les Républicains et les macronistes concluent un contrat de gouvernement, tout dépend de ce qu’il contient : s’il y a dedans la retraite à 64 ans ; la suppression de la C3S et de la CVAE, ces impôts de production qui grèvent notre compétitivité ; une réforme significative de l’école primaire et du collège pour que l’on cesse de s’effondrer dans les classements Pisa de l’OCDE ; et s’il y a une vraie volonté de réindustrialiser le pays, alors l’écart de taux entre la France et l’Allemagne serait très limité, voire réduit. Dans cette hypothèse, la France recolle à l’Europe du Nord. Si, en revanche, il y a un refus total de ce contrat de gouvernement par les Républicains, à ce moment-là, la France peut se retrouver dans une dérive de taux vers un scénario à l’espagnole ou à l’italienne. Avec un risque encore plus fort pour la France, à cause de son déficit du commerce extérieur. Si les Républicains et Ensemble ne s’entendent pas sur un contrat de gouvernement, on ira vers une crise économique et sociale majeure. Et si le président choisit l’option de la dissolution, cela pourrait être pire pour l’économie : le risque d’avoir 150 députés RN et 200 Nupes.

Vous êtes coauteur d’une étude pour favoriser le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les députés Ensemble et Républicains pourraient-ils s’entendre pour faire passer certaines mesures que vous appelez de vos vœux, comme la baisse des impôts de production ?

Toutes les mesures qui sont dans notre étude pourraient parfaitement s’insérer dans un contrat de gouvernement entre LR et Ensemble. Créer un pacte Dutreil de nouvelle génération, diminuer les impôts de production, etc. Mais pour qu’un tel accord fonctionne, il ne faudra pas que les Républicains soient considérés comme des béquilles, mais qu’ils puissent imposer une vraie transformation au pays, comme les Verts l’ont fait en Allemagne.

Certes, mais les Républicains ont fait moins de 5 % à la présidentielle !

Je suis d’accord. Et je ne suis pas au bureau politique des Républicains. Seulement, on est un pays qui est en crise significative. Dans ce contexte, choisir une politique du niet pourrait entraîner une dissolution qui elle-même pourrait entraîner une disparition pure et simple des Républicains. Les Français pourraient être extrêmement sévères.

Ce matin, la Bourse de Paris a ouvert en très légère hausse…

Malheureusement, les Bourses européennes suivent les Bourses américaines depuis trente ans. Donc on devrait voir les conséquences de l’ouverture de Wall Street cet après-midi. Cela dit, c’est un résultat qui n’est pas inquiétant pour les investisseurs. Le vrai risque, c’était la Nupes, avec 250 milliards de hausse des dépenses publiques. Et le RN avec 150 milliards de dépenses publiques. Or, ces deux programmes très destructeurs du point de vue du développement économique du pays seront au final portés par moins d’un tiers des députés. C’est de nature à rassurer la Bourse et les investisseurs internationaux. Si la France veut créer de l’emploi, elle doit développer les PME, et si elle veut faire de l’exportation, elle doit développer les grosses ETI. Les deux programmes qui étaient désastreux pour les PME et les ETI étaient ceux de la Nupes et du RN.

Photo par Eddie Junior sur Unsplash

L’invasion de l’Ukraine par la Russie inquiète les marchés, les banques centrales mais aussi le FMI. Sa présidente Kristalina Georgieva redoute « un important risque économique » pour le monde. Alors que les troupes Russes prennent pour cible la capitale ukrainienne, faut-il envisager des scénarios de ralentissement de la croissance ? Décryptage avec l’économiste Christian Saint-Etienne. Ecorama du 25 février 2022, présenté par David Jacquot sur Boursorama.com

L’Opinion – 31 mars 2021

Si la richesse intellectuelle et culturelle est le terreau où naît l’acte d’achat du bien ou service coûteux, il s’agit surtout d’accéder à un au-delà, qu’il soit de perfection humaine, de sensualité divine ou qu’il relève d’une aspiration à la spiritualité.

Pourquoi le luxe survit-il à la pandémie et au terrorisme ? Le luxe a longtemps été défini comme « le caractère de ce qui est coûteux, raffiné, somptueux » et ne « relevant pas des besoins ordinaires de la vie » (Larousse) ou comme « un mode de vie caractérisé par de grandes dépenses consacrées à l’acquisition de biens superflus, par goût de l’ostentation » (Robert). Il visait à donner du prestige ou à marquer son rang, notamment sous l’Ancien régime.

Aujourd’hui, on peut considérer le luxe semi-démocratisé, défini comme le luxe abordable par la classe moyenne même au prix d’un grand sacrifice financier, comme un signe d’appartenance à une classe sociale censée être « supérieure » afin de s’élever au-dessus de sa condition et d’échapper à des contraintes quotidiennes répétitives et pesantes. Mais une telle explication est un peu courte.

Le luxe semi-démocratisé diffère du luxe supérieur associé à la richesse. Le luxe supérieur ne présuppose pas un sacrifice financier et vise le pur agrément ou le prestige lié à la position sociale. L’un et l’autre ont pour objectif la jouissance personnelle, affichée ou secrète, et pour motivation consciente ou inconsciente d’échapper au réel et à la mort. L’objet de luxe est une clé de passage du fugace et du périssable au sublime impérissable. D’où les réactions violentes face au faux luxe ou de mauvaise facture.

Le luxe ne supporte pas la vulgarité et un objet de luxe perd son lustre en association avec une personne grossière. Le luxe est magnifié par la simplicité et le dépouillement.

Le luxe de parfaite facture décrit les objets qui célèbrent le Beau dans la perfection de la réalisation faite pour durer des décennies ou des siècles, et les services raffinés et élégants qui supposent des gestes parfaits et une attitude irréprochable des acteurs du service. Il s’oppose aux objets de mauvaise facture ou aux services mal rendus qui traduisent la vulgarité et l’appât du gain chez ceux qui les proposent et aux objets de consommation qui s’épuisent par leur usage.

Le luxe de parfaite facture est associé aux nations et groupes sociaux de haute culture et de richesse maîtrisée et discrète. Le luxe ne supporte pas la vulgarité et un objet de luxe perd son lustre en association avec une personne grossière. Le luxe est magnifié par la simplicité et le dépouillement. Il est sublimé par un environnement austère.

Richesse intellectuelle. Il s’agit ici de tenter de comprendre pourquoi certaines personnes de la classe moyenne font des sacrifices considérables pour accéder au luxe de parfaite facture. Si ces personnes voulaient seulement faire acte d’appartenance à une classe supposée supérieure ou extérioriser une réussite sociale, elles pourraient se contenter d’objets de mauvaise facture copiant de beaux objets pas trop mal imités ou de services de moyenne gamme présentés comme « exclusifs ».

Il faut observer que ce comportement tourné vers le luxe de haute facture touche toutes les sociétés de haute culture en Europe, dans les Amériques ou en Asie, notamment en Inde et Chine et au Japon. Il reflète une aspiration de personnes généralement éduquées et appartenant à des sociétés ayant ou ayant eu une riche histoire. La richesse de ces personnes n’est pas financière mais intellectuelle et culturelle. Leur éducation pourrait les conduire à se détacher des biens terrestres et à ignorer ces biens et services pouvant leur coûter six mois ou un an de salaire mais elle peut aussi leur donner la capacité d’apprécier la perfection d’un tableau, d’un bijou, d’un repas de grand chef, d’un vêtement ou d’un accessoire de parfaite facture, nouvellement produits ou d’origine ancienne. Ce sacrifice financier rend le bien ou service de luxe encore plus précieux.

Si la richesse intellectuelle et culturelle est le terreau où naît l’acte d’achat du bien ou service coûteux pour celui qui l’acquiert ou l’expérimente, la motivation de l’acte reste secrète. Il s’agit certes d’échapper à une vie monotone. Mais il s’agit surtout d’accéder à un au-delà, qu’il soit de perfection humaine, de sensualité divine ou qu’il relève d’une aspiration à la spiritualité. En hindi, le mot aishwarya signifie luxe, opulence à partir d’une racine ish donnant l’intuition du divin (Vishnou). Le mot luxe est dérivé de lux, la lumière. Le mot opulence trouve sa racine dans ops lié aux divinités Abondance et Terra.

Le luxe peut être une porte d’entrée du rêve mais l’objet ne doit pas décevoir sous peine de transformer le rêve en cauchemar. Le luxe doit être associé à une éthique implacable. Mais ce n’est évidemment pas toujours le cas.

Le luxe de parfaite facture, associé à la grâce et à l’élégance, donne accès à la lumière et à l’au-delà. A condition de ne pas tricher.

Crédit photo : Alexandra Maria

L’Opinion – 11/03/2021

Ce n’est pas le profit qui motive la création de l’entreprise mais l’envie d’entreprendre comme facteur de liberté et d’accomplissement de l’individu ou des individus créateurs de l’entreprise.

On oppose à tort deux visions de l’entreprise. Selon la première, le but de l’entreprise est de faire du profit au seul bénéfice des actionnaires. Selon la seconde, l’entreprise est un objet social qui doit servir les parties prenantes. C’est dans ce cadre conceptuel que la loi Pacte d’avril 2019 a modifié la définition de l’objet social de l’entreprise dans le Code civil.

Selon l’article 1832, la finalité d’une société est de réaliser un bénéfice ou une économie profitant aux associés. Le nouvel alinéa 2 de l’article 1833 précise que la société est gérée dans son intérêt social en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Et l’article 1835 prévoit la possibilité de modifier les statuts de l’entreprise pour y inclure une « raison d’être ». C’est la deuxième conception qui est ainsi écrite dans la loi. En sous-jacent, la première conception est censée servir le Mal, et la deuxième le Bien.

Mutations. Or l’article 1832 a été écrit dans un monde statique encore agricole (1804), avec des échanges internationaux minuscules, et les modifications ultérieures n’en ont pas changé le sens. Il s’agit, ici et maintenant, de lancer une nouvelle entreprise dans un monde, certes soumis à des mutations politiques (la Révolution de 1789), mais dont l’activité économique a peu évolué depuis la Renaissance. Les tenants et aboutissants de l’entreprise sont bien maîtrisés et le profit est probable.

Le profit n’est pas un but mais une contrainte. Il faut parvenir à être profitable pour pouvoir décoller avant d’être abattu par les autres entrepreneurs qui lancent des projets concurrents dans un monde à rendements croissants ou le gagnant rafle la mise

Mais, depuis deux siècles, trois révolutions industrielles sont intervenues (vapeur, électricité, informatique) tandis que le monde, après une première globalisation limitée de 1870 à 1914, a connu une globalisation massive depuis les années 1960. Dans ce monde ultradynamique en mutation permanente, le profit d’une nouvelle entreprise en voie de création est une chimère évolutive.

Certes, on peut encore lancer un restaurant ou une boutique de qualité et on est encore dans le monde économique tranquille de 1804, même si le risque est là. Mais dès qu’on intervient dans le monde industriel avec une forte composante numérique, le risque est au cœur du projet. Ce n’est pas le profit qui motive la création de l’entreprise mais l’envie d’entreprendre comme facteur de liberté et d’accomplissement de l’individu ou des individus créateurs de l’entreprise.

Dans ce nouveau contexte, le profit n’est pas un but mais une contrainte. Il faut parvenir à être profitable pour pouvoir décoller avant d’être abattu par les autres entrepreneurs qui lancent des projets concurrents dans un monde à rendements croissants ou le gagnant rafle la mise.

Analysant ce nouveau monde avec ses « gros sabots » de serviteur du Bien contre le Mal, on passe à côté des notions clés de prise de risque, de profitabilité comme condition de survie, de rapidité de l’essor de l’entreprise pour qu’elle ne soit pas détruite en vol par ses concurrentes sur des marchés globalisés à rendements croissants. On ignore également que ce sont les innovations scientifiques et technologiques des entreprises qui ont arraché le monde à la stagnation séculaire du niveau de vie et de l’espérance de vie, qui étaient quasiment les mêmes en 1780 que sous Jules César (voir les travaux d’Angus Maddison pour l’OCDE).

L’entreprise, comme tous les individus, associations ou partis politiques, a la responsabilité légale et sociétale de ses actes et les assume souvent mieux que les donneurs de leçons

Externalités. Le débat n’est pas entre une méchante entreprise ayant pour seul but le profit et une gentille entreprise socialisée, mais entre une entreprise qui a besoin de décoller grâce au carburant du profit anticipé qui sera redistribué en emplois et innovations technologiques et servicielles, d’une part, et une notion viciée d’entreprise nécessairement cupide servant le Mal, d’autre part.

L’entreprise, comme tous les individus, associations ou partis politiques, a la responsabilité légale et sociétale de ses actes et les assume souvent mieux que les donneurs de leçons. Mais si l’on veut progresser vers une société meilleure, l’internalisation des externalités par un prix fixé par la puissance publique est le meilleur moyen d’avancer.

Fixer un prix élevé et croissant pour la tonne de carbone produite en Europe ou importée, différencier les cotisations chômage entre les entreprises ayant 90% de CDI et les autres, en prenant en compte la nature des secteurs et le caractère cyclique de leur activité, facturer au prix fort les décharges sauvages, tel est le meilleur moyen de changer le monde, de créer des emplois et d’améliorer la qualité de vie.

Crédit photo : Marvin Meyer

L’Opinion – 23 février 2021

« Une durée de cotisation de quarante-quatre ans et un âge légal à 64 ans permettraient de dégager une vingtaine de milliards par an, qui pourraient notamment financer une remise à niveau complète de l’école primaire », plaide l’économiste

Les Français n’ont pas une idée claire du poids des retraites sur l’économie, la compétitivité des entreprises et la société. On rapporte généralement les retraites à la richesse produite, soit 14,3 % du PIB en 2019, dernière année avant la Covid-19. C’est quatre points de plus que dans les démocraties avancées et donc 100 milliards d’euros de cotisations sociales en plus qui contribuent massivement au coût du travail. Mais le PIB n’est pas le bon indicateur pour apprécier le poids exorbitant des retraites.

Si on rapporte les retraites au revenu disponible brut des ménages, on atteint 23,5 % pour 17 millions de retraités. Les actifs ne recevant que 947 milliards d’euros de salaires et traitements bruts, les retraites représentent même 36,6 % des salaires bruts d’activité. Or les 28,5 millions d’actifs devaient, en 2019, financer les 3,5 millions de chômeurs et les 18 millions de jeunes à leur charge, mais aussi les cotisations sociales santé qui bénéficient à plus de 60 % aux retraités. Le poids des retraites étouffe littéralement la population active alors que le coût du travail chargé, avec l’ensemble des cotisations sociales, en limite le nombre !

L’âge de départ à la retraite étant plus bas qu’ailleurs, le temps moyen passé à la retraite est supérieur de cinq ans au temps passé à la retraite dans les autres pays de l’OCDE. C’est donc sur la durée de cotisation et l’âge de départ à la retraite qu’il faut agir. La plupart des autres pays développés mettent progressivement en place un âge de départ à la retraite de 67 ans, qui correspond à l’allongement de l’espérance de vie. Sans aller aussi loin, dans un premier temps, il convient de porter au minimum la durée de cotisation à quarante-quatre ans et l’âge de départ à 64 ans d’ici 2027, en opérant le recul de l’âge de départ au rythme de quatre mois par an.

Enfants et pénibilité. Il faut compléter cette évolution par la mise en place d’une réduction de ces deux paramètres de six mois par enfant, mesure plafonnée à deux ans. De même, un mécanisme de pénibilité permet de réduire au maximum ces deux paramètres de dix-huit mois, le jeu conjoint des deux paramètres étant limité à 2,5 ans. Ceux qui en bénéficieraient pourraient ainsi partir à 61,5 ans avec une durée de cotisation de quarante et une années et demie.

«Dégager progressivement une vingtaine de milliards d’euros par an permettrait de financer notamment l’ajout en primaire de deux heures de calcul par semaine, tout en reformant massivement les maîtres à l’enseignement des mathématiques»

Ainsi, on limiterait l’augmentation du nombre de retraités en lien avec l’arrivée massive des baby-boomers à la retraite. On objecte souvent que l’âge effectif moyen de départ à la retraite est inférieur à l’âge légal, ce qui est faux pour la Cnav, la caisse des salariés du secteur privé (62,8 ans en 2019). On observe également que, dans l’ensemble des pays de l’OCDE, l’âge effectif de départ recule comme l’âge légal au cours des deux dernières décennies, et que l’écart entre les deux n’augmente pas.

Cette réforme permettrait de dégager progressivement une vingtaine de milliards d’euros par an dans les comptes publics, qui pourraient par exemple financer une remise à niveau complète de l’école primaire dont les performances s’effondrent dans les classements internationaux. Il faut notamment ajouter deux heures de calcul par semaine, tout en reformant massivement les maîtres du primaire à l’enseignement des mathématiques. On doit également s’assurer que tous les enfants maîtrisent la lecture, l’écriture et le calcul à la fin du CE1 avant de les envoyer en CE2, car les performances des enfants en fin de CE1 dans ces trois matières sont prédictives à plus de 80 % de leurs compétences à 18 ans. Et enfin créer une filière mixte enseignement général et professionnel pour y accueillir dès l’âge de 12 ans les enfants qui ne s’épanouissent pas dans un enseignement formel, avec passerelle pour revenir ensuite dans l’enseignement général.

Reconversions. Il faut donc investir de 5 à 7 milliards d’euros par an pour rénover complètement l’enseignement primaire, le collège et la formation professionnelle. Mais aussi 3 milliards d’euros par an pour développer des centres de formation pour adultes au sein des entreprises car, à la suite de la crise actuelle, nous serons confrontés à la nécessité de reformer en trois ans 2 millions de travailleurs qui vont devoir changer d’entreprise ou de filière de production.

«On peut encore allouer 3 milliards d’euros au rééquipement de nos armées. Il reste un solde de 5 milliards pour réduire le déficit public»

Ainsi, cette réforme conjointe des retraites et du système d’enseignement et de formation permettrait de relever fortement le niveau de compétences des élèves et des travailleurs, tout en économisant une dizaine de milliards d’euros nets (20 milliards d’économies moins 8 à 10 milliards de nouvelles dépenses). On pourrait alors allouer 4 à 5 milliards d’euros par an à la numérisation et robotisation de notre système industriel et agroalimentaire, afin de regagner en activité et compétitivité dans ces deux secteurs soumis à une forte concurrence internationale. Si l’on prend les options de 8 milliards de dépenses nouvelles pour l’éducation et 4 milliards d’euros pour la modernisation du système productif, on peut encore allouer 3 milliards d’euros au rééquipement de nos armées, dont 1 milliard par an pour doubler notre effort de R&D militaire qui est très insuffisant. Il reste un solde de 5 milliards d’euros pour réduire le déficit public.

Il existe une voie de quadruple progrès (enseignement primaire et secondaire, formation des adultes, modernisation de l’appareil de production et rénovation technologique de nos armées) pour accélérer la croissance dans un contexte de transformation rapide de l’économie mondiale, tout en réduisant le déficit public et en allégeant la charge qui pèse sur les actifs.

Enfin la réforme des retraites proposée ici encourage la natalité, prend en compte la pénibilité du travail dans certaines professions et contribue à faire remonter le taux d’emploi de la population âgée de 20 à 64 ans, un taux de 8,5 points inférieur en France à ce qu’il était en Allemagne en 2019 (72,1 % contre 80,6 %, source Eurostat).

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