Tribune de Christian Saint-Etienne – Le Figaro – 02/05/2014
FIGAROVOX TRIBUNE – Pour l’économiste Christian Saint-Etienne, la vente d’Alstom révèle la défaillance de la classe dirigeante française qui n’a pas su anticiper la troisième révolution industrielle.
Et donc Alstom nous quitte. Pas en TGV ou en métro mais sur les smart grids, technologie essentielle pour la maîtrise des réseaux électriques et pour entrer dans la croissance durable qui est la seule chance de survie de l’espèce humaine. Alstom Energie devrait être adossé à General Electric (GE). Notre pays ne devrait pas perdre les activités correspondantes si GE respecte ses engagements de garder les centres de recherche et de production afférents sur notre territoire. Mais c’est une claque pour la classe dirigeante française car elle fait apparaître son incompétence collective depuis 18 ans. Voici les preuves.
En transférant la prise de décision aux États-Unis, Alstom Energie ne pourra pas décider d’investissements ou de diversifications futures sans l’accord des actionnaires américains. Or ce transfert résulte de choix stratégiques imbéciles de Serge Tchuruk qui jette à la poubelle boursière GEC-Alsthom en 1998 avant de «théoriser» en 2001 son ambition de faire d’Alcatel une «entreprise sans usines». Alstom est vendu et Alcatel est un mort-vivant alors que les entreprises industrielles intégrées comme General Electric et Siemens survivent. Tchuruk et ceux qui l’ont conseillé devraient être jugés pour haute trahison. Au passage, c’est la Gauche qui gouverne la France à l’époque.
Une Gauche qui au même moment met en place les 35 heures en 1998-2002. Il faut revenir sur l’origine de cette mesure. Elle n’est pas «prise sur un coin de table» en 1997 comme le veut la légende ni appliquée aveuglément à tout le secteur productif à cause de la seule rigidité de Martine Aubry. En fait, tout le monde était d’accord, Gauche et Droite, décideurs économiques et politiques, car s’était installée dans les années 1990 l’idée que nous étions entrés dans un monde post-industriel et post-travail. La rigidité de la Gauche n’a fait qu’aggraver les conséquences d’une vision insensée selon laquelle il fallait laisser mourir l’appareil industriel en France pour produire en Asie et partager le travail car il allait manquer. Et beaucoup de prophètes tarés continuent de véhiculer ces idées fausses. Or et c’est la clé de compréhension des malheurs de la France, l’erreur commise par nos élites dirigeantes entre 1996 et 2002 a été de confondre le passage de la deuxième à la troisième révolution industrielle avec l’entrée dans un monde post-industriel!
Car nous sommes passés, en effet, de la deuxième à la troisième révolution industrielle dans les années 1980 avec une accélération foudroyante dans les années 1990. On ne peut encore parfaitement expliquer pourquoi, mais après deux millénaires de stagnation du niveau de vie de l’humanité jusqu’aux années 1780 (voir les travaux de l’OCDE sous la direction d’Angus Maddison), nous avons connu trois révolutions industrielles dans les années 1780, 1880 et 1980. La première s’appuie sur la machine à vapeur, la seconde sur l’électricité et la troisième sur l’informatique. Tout est bouleversé: les banques deviennent des ordinateurs géants, la biologie se transforme en biotechnologies, les communications et télécommunications changent d’ère, etc. L’informatisation des systèmes de production et de distribution s’accélèrent dans les années 1990 et 2000 avec les progrès de la micro-électronique, Internet et la mise en réseau des micro-ordinateurs. C’est exactement au moment de l’accélération de la troisième révolution industrielle que nos pseudo-élites écrasent les entreprises de charges sociales, d’impôts et de réglementation pour partager les emplois de la deuxième révolution industrielle tout en tuant la naissance des entreprises de la troisième révolution industrielle. Ces dernières émergent quand même, mais chétives et sous alimentées en profits et fonds propres.
Or la suite est la conséquence de l’intuition clé de cet article: c’est parce que la Droite partage cette idée fausse et vicieuse, ou qu’elle n’a pas la capacité intellectuelle d’en démontrer la fausseté, qu’elle ne prendra jamais réellement les mesures, entre 2002 et 2012 pour définitivement tuer les 35 heures (on les rogne à la marge), éliminer l’ISF sur les actions et fortement réduire les charges et réglementations sur les entreprises.
Puis, dans les deux premières années de la présidence actuelle, et en dépit du CICE, le gouvernement finit le travail en achevant le malade par un retour de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, la suppression de la TVA sociale et l’alourdissement criminel de la fiscalité sur le capital qui accélère la fuite des investisseurs.
La vente d’Alstom est donc le constat de faillite de la vision fausse qui gouverne la France depuis 1996 (loi Robien du 11 juin 1996 non obligatoire mais qui s’inscrit déjà dans cette vision). De juin 1996 à juin 2014 (début de mise en œuvre du plan Valls), les élites françaises ont partagé deux idées: celle évoquée précédemment de la fin de l’industrie et son corollaire, seule la dépense publique peut encore créer des richesses et des emplois. Rien n’arrête plus la dépense publique qui atteindra son sommet en 2013 (en pourcentage du PIB). La France se réveille groggy de la plus colossale erreur stratégique de son histoire depuis la Libération qui aura gouverné la France pendant 18 ans!!!
Si la vente d’Alstom Energie conduisait la France à ouvrir les yeux, ce serait une bénédiction pour le pays. Mais pour cela, il faudrait totalement refondre nos institutions, notre fiscalité et notre protection sociale. Le plan Valls, sur ce point, ne propose que des mesurettes.
Peuple de France, réveille-toi! Vite.
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