Atlantico – 10/01/2025
L’instabilité politique a un coût qui rend financièrement rationnelles les concessions sur les objectifs de réduction du déficit budgétaire. Mais jusqu’où ?
Atlantico : François Bayrou, nouveau locataire de Matignon, sera bientôt amené à se présenter devant les parlementaires pour la traditionnelle déclaration de politique générale. Depuis leur arrivée au gouvernement, Éric Lombard, ministre de l’Économie, et Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, tentent de négocier un pacte de non-censure sur le budget 2025 que l’exécutif devra présenter. D’aucuns évoquent d’ores et déjà la suspension de la réforme des retraites. Que sait-on, pour commencer, du coût financier réel de l’instabilité politique ?
Christian Saint-Étienne : Naturellement, c’est une question qu’il est difficile de traiter avant le discours de politique générale du Premier ministre, qu’il doit donner mardi 14 janvier 2025. Nous ne savons pas encore précisément ce qu’il va annoncer. Le ministre des Finances a fait savoir qu’il était question de réduire le déficit français de 50 milliards plutôt que de 60 milliards, comme cela était initialement prévu. On ne sait précisément sur quels outils le gouvernement entend s’appuyer pour s’en sortir. Ce que l’on sait, c’est que certaines mesures (et l’on parle ici d’une annulation complète de la réforme des retraites, déjà évoquée par certains partis politiques, par exemple) pourraient conduire à un véritable tsunami. Tout le monde connaît la métaphore de la grenouille que l’on ébouillante progressivement en la plaçant dans une casserole d’eau qui chauffe peu à peu. Dans ce scénario, l’eau se met soudainement à bouillir, et la grenouille brûle vive en un instant. La hausse du différentiel de taux avec l’Allemagne mesure la hausse de la température. La suspension de la réforme des retraites fera bouillir la casserole.
D’une façon générale, pour répondre à la question de fond qui est ici posée, il est nécessaire de distinguer l’instabilité politique de l’absence de vision comme de stratégie politique. En l’occurrence, et c’est là que la situation française se fait particulièrement inquiétante, nous devons composer avec un double manque en Hexagone. Depuis le début du second mandat d’Emmanuel Macron, au moins, la France avance sans la moindre stratégie de moyen ou de long terme. D’aucuns pourraient arguer que c’était même déjà vrai pendant son premier mandat, et nous pourrions, en vérité, remonter davantage encore. Cogner les riches, comme le souhaitait François Hollande, ne constitue pas une stratégie de moyen terme à proprement parler. Travailler plus pour gagner plus non plus, de même que favoriser le développement des start-ups n’est rien de plus qu’un gimmick, un élément qui doit s’inscrire dans une stratégie de long terme, une vision qui dénote le positionnement souhaité de la France dans la répartition de la richesse mondiale. Quels efforts sommes-nous prêts à engager pour demeurer une grande puissance ? Les Français sont-ils prêts à travailler davantage, à investir plus dans la recherche, dans l’innovation, à mettre en place des investissements productifs permettant la réindustrialisation du pays ? Il ne s’agit évidemment pas de se contenter d’un discours, il faut aussi regarder la réalité ensuite. Dans quelle mesure se contente-t-on seulement d’annoncer un effort collectif de développement économique, pour une croissance durable et environnementalement propre ? Met-on réellement et physiquement le pays au travail ? Compte tenu de tous ces éléments, on pourrait légitimement avancer que le dernier discours de politique générale qui ressemblait à un discours courageux de méthode comme d’objectif, c’est celui d’Alain Juppé, en 1995. Autrement dit, cela fait maintenant 30 ans que la France n’a plus de vision. Or, la somme d’une absence de vision et d’une instabilité politique est catastrophique pour le pays. Elle se traduit par ce que l’on observe depuis maintenant 25 ans : une croissance faible, de 1 % par an au mieux.
Notez que l’on peut quantifier et mesurer la combinaison de ces facteurs négatifs. Le premier élément de mesure dont on dispose n’est autre que la chute de la croissance attendue sur l’année en cours. Au printemps 2024, nous anticipions une croissance estimée à 1,3 % ou 1,4 %. Ces estimations s’appuyaient sur des événements macroéconomiques favorables à l’économie française, tels que la baisse des taux d’intérêts, des taux de change, des prix de l’énergie, la stabilisation des prix alimentaires… En bref, il y avait matière à espérer que les choses s’arrangent. Après la dissolution décidée par Emmanuel Macron, la croissance est désormais estimée entre 0,5 % et 0,8 % sur l’année 2025. Autrement dit, l’instabilité politique nous a déjà coûté 0,5 à 0,7 points de croissance sur un an. Si on ajoute à cela l’absence de stratégie française (comme européenne d’ailleurs) face à des politiques chinoises et américaines potentiellement plus agressives, il y a de quoi gonfler le manque à gagner d’un demi-point de croissance supplémentaire. Cependant, cette partie s’avère plus difficile à mesurer, puisqu’il faut de facto prendre en compte l’ensemble des politiques économiques concernées. Dans un cas comme dans l’autre, le coût total est faramineux : aux alentours d’une vingtaine de milliards d’euros de créations de richesses perdues sur les deux années 2024-2025. C’est un acquis que l’on ne pourra d’ailleurs pas rattraper.
De l’instabilité politique à l’absence d’ambition en matière de réduction des déficits, quel est le mal le plus dangereux pour l’État ? Faut-il penser que François Bayrou, s’il accepte effectivement d’annuler la réforme des retraites pour assurer la longévité de son gouvernement, fait le bon calcul ?
La question doit d’abord et avant tout de réfléchir au niveau supérieur. Il est essentiel d’identifier la cause première de l’instabilité politique à laquelle nous faisons aujourd’hui face. Sans rien avoir contre la personne ou contre ses mérites éventuels, force est de constater que le seul responsable de cette situation est Emmanuel Macron. C’est lui qui a décidé de la dissolution et qui l’a menée totalement à contretemps. Dès lors, il faut aussi affirmer que disserter sur les questions d’opportunité de réduction du déficit peut apparaître secondaire compte tenu du contexte politique que nous connaissons. L’important, pourrait-on avancer, c’est qu’Emmanuel Macron tire les conséquences de cet état de fait. Sans quoi, il faudra en effet composer avec une croissance extraordinairement médiocre et une instabilité pérenne.
Nous ne pouvons pas espérer, en raison de la double absence de stabilité et de vision stratégique, une solution à court terme avant la prochaine élection présidentielle. Celle-ci pourrait possiblement donner lieu à de nouvelles orientations plus favorables à l’économie ainsi qu’au volet social… sans oublier la recherche et le développement. Enfin, pour répondre de façon plus précise encore, il est important de prendre en compte la différence entre une instabilité à extrêmement court terme, c’est-à-dire à horizon de Pâques (ou même avant) et une instabilité à horizon 2027, par exemple. Dans le premier cas de figure, il peut s’avérer pertinent d’envisager quelques concessions permettant le vote d’un budget pour 2025, sous réserve que celles-ci ne soient pas de nature à provoquer une crise financière majeure, susceptible de coûter trois, cinq ou même dix fois le coût de l’abandon des mesures sur les retraites. Tenter de gagner un an peut faire sens. Cela supposerait, néanmoins, un certain nombre de réformes après Pâques, visant à redonner confiance dans la possibilité française de croissance.
On peut douter que le gouvernement ait la capacité d’impulser une vision positive sur le moyen terme… particulièrement dans une situation où il sera peut-être amené à des concessions trop lourdes sur le très court terme. Il faudra malheureusement attendre le détail de la loi de finances 2025 que présentera François Bayrou pour en avoir le cœur net.
Dans quelle mesure peut-on dire que la logique de longévité du gouvernement, au prix de concessions parfois importantes, a pu permettre la validation d’un budget français par Bruxelles qui n’a finalement pas vu le jour ? Que faut-il penser de cette logique ?
Bruxelles a effectivement validé le budget Barnier, qui était pour partie dur et sévère, mais qui comprenait aussi trop de hausses d’impôts. Ce que l’on peut tout de même dire, c’est qu’il faisait montre d’une certaine cohérence. Pour le reste, il est encore difficile de commenter ce que fera ou non François Bayrou. Sans doute annoncera-t-il quelques mesures sur les retraites, déclarant qu’il va négocier entre février et avril avant de présenter un projet de loi entre juin et juillet. En contrepartie, il attendra sans doute de la gauche qu’elle vote immédiatement le budget. S’il y parvient effectivement, il pourra procéder à une réduction du déficit de 50 milliards d’euros (plutôt que les 60 milliards initialement attendus), ce qui signifie que le déficit français atteindra 5,5 points de PIB. Le gouvernement sera libre d’affirmer que son action aura permis d’éviter le pire…
Christian Saint-Etienne était l’invité de Darius Rochebin et Emilie Broussouloux dans « Le 22h » sur LCI ce mercredi 8 janvier 2025.
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Au sommaire : Retraites à 64 ans, la fin d’un tabou ?
Christian Saint-Etienne, économiste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, était l’invité de l’émission Ecorama du 8 janvier 2025, présentée par David Jacquot sur Boursorama.com. Il a notamment donné son point de vue sur la retraite par capitalisation, sur la réindustrialisation de la France et sur le projet de budget 2025.
Christian Saint-Etienne était l’invité de Nicolas Doze dans l’émission « Les Experts » sur BFM Business ce mardi 7 janvier 2025.
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Ce mardi 7 janvier, Jean-Marc Daniel, éditorialiste BFM Business, Guillaume Richard, président du groupe de services à la personnes OuiCare, et Christian Saint-Etienne, professeur au CNAM, ont parlé de la désindustrialisation, de la gestion de la robotisation, et le PIB qui va vers un déficit autour de 6%, dans l’émission Les Experts, présentée par Nicolas Doze.
Christian Saint-Etienne était l’invité de Nicolas Doze dans l’émission « Les Experts » sur BFM Business ce mardi 7 janvier 2025.
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Ce mardi 7 janvier, Jean-Marc Daniel, éditorialiste BFM Business, Guillaume Richard, président du groupe de services à la personnes OuiCare, et Christian Saint-Etienne, professeur au CNAM, sont revenus sur les effets de la désindustrialisation, ainsi que sur la volonté de relocaliser sept nouveaux médicaments, questionnant si c’est une vision stratégique ou une idée aberrante, dans l’émission Les Experts, présentée par Nicolas Doze.
Christian Saint-Etienne était l’invité de Darius Rochebin dans l’émission « Face à Darius Rochebin » sur LCI ce jeudi 2 janvier 2024.
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Christian Saint-Etienne était l’invité de 11h30 dans l’émission « Le Temps de l’Info » sur LCI ce mardi 31 décembre 2024.
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Les Echos – 17/12/2024
Donald Trump lance une guerre commerciale aux conséquences financières et politiques très incertaines. Croyant bien faire, il pourrait porter un coup terrible aux Etats-Unis.
Donald Trump a annoncé, lors de la campagne électorale présidentielle aux Etats-Unis, qu’il envisageait d’augmenter les droits de douane avec une taxe de 10 % à 20 % sur l’ensemble des importations et de 60 % sur les importations venant de Chine. De plus, les pays qui voudraient cesser d’utiliser le dollar comme monnaie principale du commerce mondial seraient « punis ».
Sans réaction des contreparties, ce qui est inenvisageable, les prix des importations progresseraient peut-être de 6 % à 12 % – selon le taux pour l’ensemble des importations -, en moyenne aux Etats-Unis, en supposant des baisses des marges des exportateurs et des importateurs et un dollar qui pourrait se renforcer. Les importations atteignent 14 % du PIB américain. Sachant qu’il n’y a pas de produits de substitution pour tous les produits importés, les importations baisseraient peut-être de « seulement » 5 % à 8 %. La production américaine augmenterait dans quelques domaines mais l’inflation accélérerait.
Sachant que le principal reproche fait à Biden par les électeurs était une inflation qui avait marginalement réduit leur pouvoir d’achat réel en 2022-2024, il est probable que les élections de novembre 2026 ne se passeront pas aussi bien qu’en 2024 pour Trump. Par anticipation des conséquences sur les exportations américaines, il est possible que les droits de douane augmentent moins que ce que Trump envisageait pendant sa campagne.
Trump n’est pas un stratège mais un négociateur de deals. Ses annonces sont des positions de négociation qui peuvent évoluer fortement au cours des discussions. Lors de la renégociation du traité de l’Alena, la version de novembre 2018 du traité commercial, qui prit le nom d’« Accord Etats-Unis-Mexique-Canada – Aeumc » ne différait que partiellement de la précédente version, alors que Trump avait laissé entendre qu’il allait tout « casser » et éventuellement annuler l’Alena.
L’impact des décisions de Trump – si elles se confirment – sur l’activité des pays qui exportent vers les Etats-Unis serait élevé et pourrait entraîner un ralentissement d’une activité déjà misérable en Europe et une baisse des exportations des pays asiatiques qui pourrait affaiblir l’économie mondiale. A l’impact comptable d’une hausse des droits de douane, il convient d’ajouter l’impact sur la confiance et les investissements. Le ralentissement de l’économie mondiale sans réaction du reste du monde pourrait atteindre 1 point de pourcentage, soit un tiers de la croissance mondiale, en 2026.
Le point clé est celui des mesures compensatoires prises par les autres pays du monde. Le 17 juin 1930, le président républicain Hoover a signé la loi tarifaire Hawley-Smoot, qui a augmenté les droits de douane moyens sur les produits soumis à des hausses des droits de douane et par rapport aux taux moyens de 1925-1929, de 52 % en 1932. Comme le note l’économiste américain Sydney Ratner, les Américains furent terriblement surpris par les hausses de droits de douane sur les exportations américaines qui chutèrent fortement, notamment les exportations de produits agricoles, qui chutèrent de 68 % de 1929 à 1933.
Le commerce international s’effondra de plus de 60 % en valeur de 1929 à 1932 et resta en dessous du niveau de 1932 jusqu’en 1937. Les républicains subirent une défaite majeure aux élections de 1932. La crise des années 1930, accentuée par une politique monétaire restrictive de 1929 à 1933, porta le taux de chômage à plus de 20 % aux Etats-Unis.
La crise fut dévastatrice en Europe et favorisa grandement l’arrivée de Hitler au pouvoir en mars 1933. On sait toujours quand on commence une guerre commerciale mais on n’en maîtrise jamais complètement les conséquences à la fois commerciales, financières et politiques. Et Trump, en croyant bien faire, pourrait porter un coup terrible aux Etats-Unis.
Christian Saint-Etienne était l’invité de Nicolas Doze dans l’émission « Les Experts » sur BFM Business ce vendredi 13 décembre 2024.
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Ce vendredi 13 décembre, Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE, Christian Saint-Étienne, professeur au CNAM et membre du Cercle des Économistes, et Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, ont parlé de l’ensemble des mesures économiques prises par Emmanuel Macron, dans l’émission Les Experts, présentée par Nicolas Doze.
Christian Saint-Etienne était l’invité de Nicolas Doze dans l’émission « Les Experts » sur BFM Business ce vendredi 13 décembre 2024.
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Ce vendredi 13 décembre, Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE, Christian Saint-Étienne, professeur au CNAM et membre du Cercle des Économistes, et Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, se sont penchés sur l’évaluation des conséquences économiques de la loi spéciale, notamment l’incertitude sur les plans d’investissement et l’embauche, dans l’émission Les Experts, présentée par Nicolas Doze.