L’Opinion – 11/03/2021
Ce n’est pas le profit qui motive la création de l’entreprise mais l’envie d’entreprendre comme facteur de liberté et d’accomplissement de l’individu ou des individus créateurs de l’entreprise.
On oppose à tort deux visions de l’entreprise. Selon la première, le but de l’entreprise est de faire du profit au seul bénéfice des actionnaires. Selon la seconde, l’entreprise est un objet social qui doit servir les parties prenantes. C’est dans ce cadre conceptuel que la loi Pacte d’avril 2019 a modifié la définition de l’objet social de l’entreprise dans le Code civil.
Selon l’article 1832, la finalité d’une société est de réaliser un bénéfice ou une économie profitant aux associés. Le nouvel alinéa 2 de l’article 1833 précise que la société est gérée dans son intérêt social en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. Et l’article 1835 prévoit la possibilité de modifier les statuts de l’entreprise pour y inclure une « raison d’être ». C’est la deuxième conception qui est ainsi écrite dans la loi. En sous-jacent, la première conception est censée servir le Mal, et la deuxième le Bien.
Mutations. Or l’article 1832 a été écrit dans un monde statique encore agricole (1804), avec des échanges internationaux minuscules, et les modifications ultérieures n’en ont pas changé le sens. Il s’agit, ici et maintenant, de lancer une nouvelle entreprise dans un monde, certes soumis à des mutations politiques (la Révolution de 1789), mais dont l’activité économique a peu évolué depuis la Renaissance. Les tenants et aboutissants de l’entreprise sont bien maîtrisés et le profit est probable.
Le profit n’est pas un but mais une contrainte. Il faut parvenir à être profitable pour pouvoir décoller avant d’être abattu par les autres entrepreneurs qui lancent des projets concurrents dans un monde à rendements croissants ou le gagnant rafle la mise
Mais, depuis deux siècles, trois révolutions industrielles sont intervenues (vapeur, électricité, informatique) tandis que le monde, après une première globalisation limitée de 1870 à 1914, a connu une globalisation massive depuis les années 1960. Dans ce monde ultradynamique en mutation permanente, le profit d’une nouvelle entreprise en voie de création est une chimère évolutive.
Certes, on peut encore lancer un restaurant ou une boutique de qualité et on est encore dans le monde économique tranquille de 1804, même si le risque est là. Mais dès qu’on intervient dans le monde industriel avec une forte composante numérique, le risque est au cœur du projet. Ce n’est pas le profit qui motive la création de l’entreprise mais l’envie d’entreprendre comme facteur de liberté et d’accomplissement de l’individu ou des individus créateurs de l’entreprise.
Dans ce nouveau contexte, le profit n’est pas un but mais une contrainte. Il faut parvenir à être profitable pour pouvoir décoller avant d’être abattu par les autres entrepreneurs qui lancent des projets concurrents dans un monde à rendements croissants ou le gagnant rafle la mise.
Analysant ce nouveau monde avec ses « gros sabots » de serviteur du Bien contre le Mal, on passe à côté des notions clés de prise de risque, de profitabilité comme condition de survie, de rapidité de l’essor de l’entreprise pour qu’elle ne soit pas détruite en vol par ses concurrentes sur des marchés globalisés à rendements croissants. On ignore également que ce sont les innovations scientifiques et technologiques des entreprises qui ont arraché le monde à la stagnation séculaire du niveau de vie et de l’espérance de vie, qui étaient quasiment les mêmes en 1780 que sous Jules César (voir les travaux d’Angus Maddison pour l’OCDE).
L’entreprise, comme tous les individus, associations ou partis politiques, a la responsabilité légale et sociétale de ses actes et les assume souvent mieux que les donneurs de leçons
Externalités. Le débat n’est pas entre une méchante entreprise ayant pour seul but le profit et une gentille entreprise socialisée, mais entre une entreprise qui a besoin de décoller grâce au carburant du profit anticipé qui sera redistribué en emplois et innovations technologiques et servicielles, d’une part, et une notion viciée d’entreprise nécessairement cupide servant le Mal, d’autre part.
L’entreprise, comme tous les individus, associations ou partis politiques, a la responsabilité légale et sociétale de ses actes et les assume souvent mieux que les donneurs de leçons. Mais si l’on veut progresser vers une société meilleure, l’internalisation des externalités par un prix fixé par la puissance publique est le meilleur moyen d’avancer.
Fixer un prix élevé et croissant pour la tonne de carbone produite en Europe ou importée, différencier les cotisations chômage entre les entreprises ayant 90% de CDI et les autres, en prenant en compte la nature des secteurs et le caractère cyclique de leur activité, facturer au prix fort les décharges sauvages, tel est le meilleur moyen de changer le monde, de créer des emplois et d’améliorer la qualité de vie.
Crédit photo : Marvin Meyer
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