Le Journal du Dimanche – 10/12/2023
La Banque centrale européenne (BCE a augmenté ses taux le 14 septembre 2023, portant le taux de refinancement à 4,5%, après que ce taux a été maintenu à moins de 1,5% de 2011 à mars 2016, date à laquelle il passait à 0% jusqu’en juillet 2022. Depuis juillet 2022, la BCE a procédé à dix hausses de son taux principal de refinancement en faisant l’hypothèse, y compris lors de la dernière hausse en septembre 2023, que l’inflation se maintiendrait à un niveau élevé sur l’ensemble de l’année 2023 et résisterait en 2024.
Or quelques semaines après cette dernière décision, l’inflation baisse d’autant plus vite que l’activité économique dans la zone euro est atone et devrait rester décevante en 2024. L’inflation (IPCH – indice des prix à la consommation harmonisé) est tombée à 2,4% en novembre 2023 dans la zone euro et à 3,8% en France (3,4% pour l’indice classique à la consommation pour la France). Les prix des actifs immobiliers, notamment commerciaux, dégringolent depuis un an. L’Allemagne est entrée en stagnation et la France est en difficulté avec un double déficit (public et balance commerciale) qui apparaît de plus en plus ingérable.
C’est dans ce contexte dégressif que la présidente de la BCE vient d’annoncer une accélération de la contraction du bilan de la Banque centrale. La BCE peut-elle davantage être à contre-temps, alors qu’elle le fut déjà lors de la crise de 2008, qu’il a fallu la décision de Mario Draghi de juillet 2012 pour éviter la catastrophe – explosion de la zone – et que la BCE a trop tardé à relever doucement ses taux en 2021-2022 ? J’ai fait partie des rares personnes qui ont appelé la BCE à remonter son taux de refinancement à 0,5% puis progressivement 1% en 2021. Mais ce taux est resté nul pendant cette période avant de prendre brutalement l’ascenseur à l’automne 2022.
Une réduction trop rapide du bilan de la Banque centrale pourrait provoquer une crise du financement du sud de la zone euro qui conduirait la BCE à rouvrir en urgence les vannes du crédit, brisant ainsi la confiance des marchés financiers dans la conduite de la politique financière de l’Europe. Car la politique monétaire de la zone euro doit être analysée conjointement avec la politique budgétaire conduite par les vingt Etats membres de la zone, des Etats qui n’évoluent pas de la même façon au même moment.
Faut-il donc souhaiter une baisse rapide des taux d’intervention de la Banque centrale, tout en réduisant rapidement le bilan de la BCE, ou réduire modérément les taux et très progressivement le bilan de la banque ? Une réduction trop rapide des taux porterait en germe une reprise de l’inflation des prix à la consommation, mais surtout une accélération de l’inflation salariale conduisant à une boucle de prix-salaire rapidement ingérable.
Comme le marché des prêts immobiliers en volume s’est stabilisé en octobre-novembre 2023, du moins en France, et que les demandes de hausse salariale restent élevées, il convient de privilégier une approche progressive de baisse modérée des taux conjointement à une baisse très contrôlée des encours de la Banque centrale. On pourrait imaginer de ramener le taux de refinancement par quatre baisses de 0,25%, de 4,5% actuellement à 3,5% en juillet 2024, avec une baisse mensuelle modérée de l’encours de crédits de la Banque centrale. Sauf si l’activité dans la zone euro devait plonger en 2024 sous l’effet d’une aggravation de la guerre en Ukraine, d’une nouvelle crise énergétique ou pandémique, le taux de refinancement à condition que l’inflation recule en 2024, pourrait être ramené à 3% à la fin de 2024.
Il ne faut jamais oublier que la conduite du policy mix dans la zone euro, qui recouvre la conduite simultanée des politiques monétaires, budgétaire et de change, est compliquée en raison, d’une part, de la dépendance énergétique de l’Europe aux pétrole et gaz importés, d’autres part, de la fêlure entre le nord et le sud de la zone euro. Cette opposition ne résorbe pas, avec des pays du nord ayant gardé une industrie puissante, une dette publique faible et une position financière extérieure nette fortement positive, et des pays du sud très endettés et qui, pour certains, cumulent double déficit et position financière extérieure nette fortement dégradée, comme la France.
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