Les Echos – le 27 juillet 2016
Une nation est la construction issue d’une volonté de vivre ensemble et du partage d’une histoire-légende qui résulte d’une histoire collectivement revisitée et significativement embellie : en Angleterre, l’histoire-légende s’est construite sur l’invention de la démocratie parlementaire, fondée sur les droits de l’homme à vivre libre à partir d’une Magna Carta biblisée. En France, elle s’est construite sur la lente édification d’un Etat centralisé favorisant la méritocratie, l’excellence et la citoyenneté avec un moment révolutionnaire idéalisé, dont les épisodes ignobles ont été repeints avec la couleur de la nécessité historique.
L’Angleterre, puisque c’est elle qui a choisi le Brexit contre l’Ecosse et l’Irlande du Nord, a voulu réaffirmer la prééminence de son histoire-légende sur la construction bureaucratique de Jean Monnet, qui a tenté de bâtir subrepticement l’Europe par une série d’avancées négociées largement en secret sans en expliquer l’intérêt et la nécessité à chacun des peuples. Mais surtout le crime des bureaucrates a été de nier par le mépris l’histoire-légende constitutive des peuples de l’Union.
Telle est l’origine du divorce entre les peuples et leurs élites en Europe. Ce divorce ne résulte pas uniquement de l’éloignement des centres de décision vers un Bruxelles bureaucratique, mais aussi, et vraisemblablement surtout, de la négation méprisante affichée par les élites européennes, envers l’histoire-légende des peuples. En France, notamment on ne pourra pas sans limite remettre en cause la méritocratie, la recherche de l’excellence dès l’école et dans la vie publique, et la citoyenneté, qui ne peut tolérer le communautarisme.
A cette négation de l’histoire-légende des peuples, et donc de leurs attentes profondes, s’ajoute, pour les pays membres de la zone euro, l’échec stratégique de la monnaie unique, même si elle est un apparent succès technique. Imaginée pour favoriser la convergence des performances économiques entre les pays membres, elle est devenue un facteur de divergence entre les pays du nord et du sud de la zone euro. Le niveau de vie des pays du Sud a baissé de 6 à 15 % relativement à celui de l’Allemagne depuis 2007 ! Et cette divergence était prévisible dans la mesure où les institutions de la zone euro sont déficientes : cette monnaie ne pouvait réussir qu’avec un gouvernement économique commun, un budget commun et une coordination fiscale et sociale, toutes conditions de réussite refusées par les négociateurs du traité de Maastricht.
Que faire à présent ? Il est impératif de répondre à trois besoins clefs :
1. Fixer des frontières de l’Union européenne à 27 ou autour d’un noyau dur de pays acceptant de constituer un système commun de gardes-frontières puissamment armés. Ce noyau dur doit au minimum comporter huit pays : la France, l’Allemagne, les trois du Benelux, l’Italie, l’Espagne et le Portugal, plus tous les autres pays acceptant d’avoir une politique commune de l’immigration (qui accepter ou refuser, selon quels critères communs).
2. Adopter une politique économique et stratégique commune (réciprocité dans le commerce international, politique favorisant l’industrie numérique, biotech et robotique avec un effort accru de recherche et d’innovation, système commun d’universités d’excellence).
3. Amorcer un projet de défense européen face aux menaces croissantes contre l’intégrité des peuples européens.
Comment faire ? L’inverse de la méthode des petits pas à la Monnet. Il faut vraiment partir de ce qui est nécessaire pour réussir le rebond de la construction européenne et ne démarrer qu’avec les peuples qui sont prêts aux partages de souveraineté en laissant les autres hors du processus. Mais surtout, les partages de souveraineté doivent s’opérer dans un cadre strictement intergouvernemental respectueux de l’histoire-légende de chaque peuple. La méthode communautaire, bureaucratique, apatride et méprisante pour les peuples est morte.
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