Les Echos – 9/11/2023

En dépit du changement de discours depuis deux ans sur la nécessité de réindustrialiser la France, après deux décennies de désindustrialisation suicidaire, le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB a continué de baisser pour s’établir à 9,5% en 2022, contre 14,8% dans la zone euro et 18,4% en Allemagne. Nous avons 5 points de PIB de retard sur nos compétiteurs européens et non pas 0,5 point de PIB si l’on voulait simplement revenir à 10% du PIB.

Le gouvernement, à la suite de l’adoption de la loi industrie verte en octobre 2023 a annoncé un objectif de création de 50 « sites clés en main » pour accueillir de nouvelles usines. Ces 50 sites nécessitent 2.000 hectares de terrain bien desservis par les transports connectés au réseau énergétiques et dépollués. Selon Bercy, c’est une dixième du foncier nécessaire à la réindustrialisation du pays.

Mais peut-on être plus précis ? Différentes études disponibles en 2023 permettent d’établir qu’il faut 10.000 hectares par point de PIB supplémentaire de l’industrie dans le PIB total, dont 60% par création de nouvelles zones industrielles vertes (ZIV) et 40% par traitement des friches et densification des zones existantes. Si l’on veut remonter la part de l’industrie dans le PIB de 5 points, il faut donc 50.000 hectares de « sites clés en main » dont 30.000 hectares de terrains nouveaux et 20.000 hectares retraités. On peut estimer le nombre de sites nouveaux nécessaires autour de 500 à 700, avec des surfaces de 50 à 2.000 hectares selon les configurations.

Ces 500 à 700 ZIV feront travailler un million de personnes qualifiées (ingénieurs, techniciens, ouvriers qualifiés…) qui voudront s’installer près des 262 métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomérations regroupant exactement les deux tiers de la population française – arrondissons à 300 grands regroupements de communes (GRC) – afin de disposer d’emplois pour les conjoints d’équipements scolaires, de santé et de loisir.

Or c’est dans ces GRC que l’on manque de logements de qualité et à énergie positive. Il faudrait ainsi probablement un peu plus de 600.000 logements collectifs dans des immeubles de trois à cinq étages, soit précisément une hausse de 2% du stock actuel de résidences principales.

Réindustrialiser sérieusement le pays suppose donc de créer 2 à 3 ZIV par GRC, pour un total de 50.000 hectares dont 60% de nouveaux terrains d’ici à 2035. La construction de 600.000 logements de qualité, pour un coût de 300.000 euros par unité, nécessiterait d’investir 180 milliards d’euros au total, soit 15 milliards par an sur douze ans. La création des 500 à 700 ZIV et des infrastructures de réseaux afférentes, notamment les centrales électriques, devrait représenter un montant équivalent et contribuer massivement à la transition verte.

Réindustrialiser véritablement ne pose pas de problème de financement. Cela suppose surtout une vision forte et une politique volontariste en lien avec les 300 GRC sans lesquels rien ne peut arriver. Le financement, une trentaine de milliards d’euros par an pendant douze ans, est une goutte d’eau par comparaison aux 3.000 milliards d’euros d’épargne plus ou moins dormante ou aux 30 milliards d’euros de recettes annuelles de la taxe d’habitation supprimée à tort.

La seule question réelle, pour refaire de la France une grande nation prospère, est de s’interroger sur notre capacité collective à vraiment vouloir s’arracher à la stagnation, c’est-à-dire au 1,2% de croissance annuelle de 2001 à 2024. Ce qui n’exige qu’une politique volontariste parfaitement réfléchie pendant une douzaine d’années, mais sans nécessité d’un grand chef ou d’un miracle. Sommes-nous encore capables de volonté et de politique collective réfléchie sur la durée ?

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