L’Opinion – 15/01/2024

La France a atteint le sommet de sa puissance relative dans le monde en 1999, si l’on mesure cette puissance par sa part dans les exportations mondiales de biens et services qui signale notre influence à l’international. Cette année-là, nous avions une position financière extérieure nette positive, signifiant que nous étions « créditeur » sur le reste du monde. Enfin, nous étions perçus comme la quatrième puissance économique mondiale et une puissance stratégique crédible.

Depuis, nous avons perdu la moitié de nos parts de marché dans le monde, notre niveau de vie a baissé de 15% par rapport à l’Allemagne et aux Pays-Bas, nos industries automobile, pharmaceutique, mécanique ou aéronautique ou agroalimentaire se sont étiolées, le monde agricole est en déshérence…

Que s’est-il passé au cours du dernier quart de siècle pour que nous apparaissions, au début de 2024, comme un pays affaibli et fracturé ? Et pourquoi ce démarrage en 1999 ?

Les trois raisons de ce marasme et de cet abaissement sont la désindustrialisation, le déraillement de nos politiques économiques et sociales, la désidentification de l’être national.

Révolution. La première racine vient de l’idée radicalement fausse qui décrète dans les années 1990 que nous sommes entrés dans un monde post-industriel et post-travail et qu’il faut donc partager le travail en laissant l’industrie s’atrophier. Or, au même moment se déploie une nouvelle révolution industrielle totale, celle de l’informatique qui prend son essor dans les années 1990 avec Internet et la mise en réseau de centaines de millions de micro-ordinateurs. Nos élites se convainquent à tort que nous sommes dans un monde post-industriel alors que la Nouvelle Révolution industrielle est hyper-technologique et hyper-industrielle. Les nations comme les individus peuvent se tromper, mais nous allons persévérer dans cette sottise jusqu’à la gifle du Covid qui montre ce qui se passe quand on n’a plus d’industrie : pas de masques, de tests, de vaccins, puis pas de microprocesseurs en 2022, puis pas d’électricité à l’hiver 2022-23, etc.

La deuxième racine vient de l’entrée « accidentelle » dans la zone euro. Accidentelle car nous ne voulions pas de la discipline que cela impliquait. La dette publique était déjà à 60% du PIB en 2000 et double quasiment en 2023. Il aurait fallu comprendre et accepter qu’en nous liant à l’Allemagne par la monnaie, nous devions progresser tout comme elle en termes de compétitivité tout en maintenant notre dette publique au niveau allemand. Déraillement des politiques économiques et sociales.

Il fallait surtout ne pas se décaler sur le coût du travail. Or nous mettons en œuvre la semaine de 35 heures en 2000-2002, que les syndicats ne demandaient pas, alors que les Allemands votent les réformes Hartz du marché du travail en 2003-2005. Les industries commencent à redéployer leurs usines hors de France alors que les Allemands investissent dans les leurs en Allemagne.

En se laissant désindustrialiser depuis le début des années 2000 – avec une part de l’industrie manufacturière dans le PIB qui a chuté d’un tiers de 2000 à 2022 -, désélectrifier en fermant de nombreuses centrales électriques et en sous-investissant dans les autres depuis 2012, dérobotiser – en ayant un nombre de robots inférieur par millier d’ouvriers à l’Espagne et l’Italie -, le France s’est auto-suicidée au cours du dernier quart de siècle en termes de compréhension du monde dans lequel elle opère et de capacités stratégiques relatives à celles de ses concurrents.

Cet affaiblissement s’est traduit par l’apparition d’un déficit extérieur croissant à partir du milieu des années 2000, qui est devenu préoccupant dans les années 2010 et grave dans les années 2020. Alors que la position financière extérieure de la France était encore à l’équilibre en 2002-2003, elle s’est établie au montant négatif de -1150 milliards d’euros ou -43,5% du PIB à fin 2022.

Effondrement scolaire. La troisième racine résulte des réformes du système éducatif introduites dans les années 1980 aux années 2010 : réforme Savary-Legrand de 1982 (« adaptation » des programmes nationaux à la diversité des élèves, réduction des durées d’enseignement), loi Jospin de 1989 (basculement du centre de gravité du système éducatif, de la recherche d’excellence au bien-être des élèves), réforme des lycées de 2010 visant à réduire « la suprématie excessive de la série scientifique », avec le premier effondrement massif du niveau des élèves constaté par l’étude Pisa de l’OCDE de 2012. Puis déconstruction du collège par Najat Vallaud-Belkacem en 2015 déclassant les enseignements du latin et du grec, supprimant les classes bilingues et européennes, et généralisant la baisse du niveau dans les apprentissages au nom de l’inclusion. En 2023, la France affolée se voit ridiculisée par une nouvelle évaluation Pisa.

Sous-jacents à ces réformes, s’imposent le refus de l’effort dans la recherche de l’excellence, mais surtout le mépris de ce que l’on est, de sa propre histoire au point d’évacuer des enseignements les grands personnages historiques qui ne servaient pourtant qu’à illustrer le don de soi, la bravoure, la recherche de l’excellence, le combat pour la liberté, etc.

Ces trois racines sont devenues des arbres, puis des forêts en feu qui ont recouvert de cendres l’enseignement républicain mis au service de l’abandon de notre identité de nation laïque vouée à l’excellence et à la raison depuis les XVIIe et XVIIIe siècles. Le wokisme, galopant dans le monde universitaire, parachève la déconstruction.

Durée. Le point clé est que ces racines se sont forgées en paradigme dominant de la pensée des élites dans les années 1990 et structurant nos politiques économiques et sociales dans les années 2000 et 2010 : 1/ La désindustrialisation prépare l’avenir post-industriel, post-travail, (alors que nous sommes dans une révolution hyper-industrielle), 2/ La zone euro nous protège de nos dérives (alors qu’elle favorise l’effondrement des faibles), 3/ L’abaissement du système éducatif prépare l’inclusion dans la diversité (alors qu’elle se traduit par un effondrement général du niveau et la montée des violences et des séparatismes à l’école).

Depuis 2022, on parle de réindustrialisation, de relance du nucléaire, du retour de l’excellence à l’école. Nous serions donc sauvés. Balivernes !

Le paradigme qui a favorisé la désindustrialisation, la dérive des politiques en zone euro et l’effondrement de l’école, s’est construit de 1981 à 1996, a gouverné la France de 1997 à 2021, et continue de dominer les politiques publiques (par exemple, on ne peut pas réindustrialiser les friches, car il faut préserver la faune et la flore qui s’y est installée !). Le déficit public reste à un niveau stratosphérique et le poids de l’industrie manufacturière dans le PIB a continué de baisser jusqu’en 2022 et probablement 2023.

Un paradigme se construit sur la durée, pendant des décennies, ne peut s’effacer que sous les coups de boutoir du réel et par une révolution conceptuelle que le pays continue de refuser.

La France est aujourd’hui un pays stratégiquement à l’arrêt dans un monde en mutation rapide avec la montée des tensions internationales, les ambitions du Grand Sud, la fracturation de l’Europe et le renouveau industriel des États-Unis.

Et, surtout, nous ne sommes pas vraiment sortis du paradigme destructeur qui règne en maître sur nos politiques depuis au moins un quart de siècle. Pour en sortir vraiment, il faudra construire un nouveau paradigme fondé sur l’excellence, la compétitivité, la réindustrialisation verte en impératif absolu, la volonté farouche de rétablir les fondements de notre identité afin de pouvoir nous rouvrir au monde.

Pour y parvenir, il faudra balayer ce qui reste des générations qui ont construit ce paradigme monstrueux, qui sont encore à des postes clés et qui ont nommé leurs semblables à la tête du pays. Un changement de Premier ministre sans changement réel de paradigme n’apportera rien.

Il n’y a pas d’alternative à une révolution totale.

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