L’Express – 20 août 2014
Propos recueillis par Benjamin Masse-Stamberger
L’économiste Christian Saint-Etienne, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, juge que François Hollande paie aujourd’hui deux années d’erreurs.
Qu’est-ce qui ne tourne pas rond dans notre économie ?
Notre secteur productif est extrêmement affaibli. Il l’était déjà avant l’arrivée au pouvoir de François Hollande, puisque son dernier point haut remonte à 1999. Depuis cette date, nous nous sommes continuellement affaiblis. La part de l’industrie dans la valeur ajoutée, en France, a reculé de 30 %. Nos coûts ont augmenté de 20 % par rapport à ceux des Allemands : nous étions 12 % moins chers à l’époque, nous sommes 8% plus chers aujour d’hui. Nous sommes en déficit commercial sans discontinuer depuis 2003. Enfin, la part de nos exportations par rapport aux exportations mondiales a baissé de 40%. En résumé, notre économie était déjà très mal en point, et la politique menée entre 2012 et 2014 lui a porté le coup de grâce.
Que reprochez-vous précisément à François Hollande ?
Les deux premières années du quinquennat ont été complètement ratées : les quelques bonnes mesures prises par Nicolas Sarkozy (réforme des retraites, TVA sociale…) ont été annulées ; les impôts ont grimpé de 75 milliards d’euros – en particulier pour les entreprises – sans réduire pour autant le déficit, du fait de la faiblesse de la croissance ; le gouvernement s’est livré à un discours violemment antiriches, symbolisé par la taxe à 75 % et les violentes diatribes du ministre du Redressement productif. Tout cela a eu pour conséquence de faire fuir une partie de nos élites économiques et finan cières, et d’effrayer les investisseurs étrangers. Résultat : notre secteur productif est aujourd’hui encore plus abîmé qu’il ne l’était en 2012.
Rien ne trouve grâce à vos yeux ?
Il y a bien eu le rapport Gallois de novembre 2012, mais il ne portera véritablement ses fruits qu’à partir de 2015, tout comme le pacte de responsabilité, d’ailleurs. Le tournant social-démocrate du début de 2014 est louable, même s’il arrive bien tard et s’il faudraitle compléter par une réduction massive de la fisca lité du capital. Pour l’heure, le pari de Hollande est que les résultats obtenus à partir de 2015 feront oublier les erreurs du début du quinquennat.
Peut-il encore gagner ce pari ?
Notre pays est très dé -pendant pour ses exportations de l’Italie et de l’Espagne, qui sont de gros marchés, notamment dans les secteurs mécanique, agroalimentaire ou automobile. Or l’Italie va mal et, si l’Espagne semble aller un peu mieux, elle reste confrontée à une crise sociale extrêmement profonde. Par ailleurs, pour faire baisser véritablement le chômage, il faudrait une croissance annuelle d’au moins 1,5 %. Or on devrait avoir autour de 0,5 % en 2014 et 1 % en 2015. On pourrait même retomber à zéro si l’Italie et l’Espagne replongeaient. Autant dire que ce sera compliqué…
Faute de croissance, les marchés ne risquent-ils pas de donner l’alerte ?
La meilleure manière de les rassurer, c’est de faire un véritable aggiornamento social et fiscal, pour réduire nos dépenses et renforcer notre compétitivité. Mais si la situation devient vraiment difficile, nous risquons effectivement d’être contraints à un ajustement encore plus brutal, comme celui qu’a dû effectuer Mario Monti en Italie. Mieux vaut agir avant de devoir en arriver là.
Actus en relation
Laisser un commentaire
Nombre de commentaires :