Le Figaro – 06/12/2018

L’économiste plaide pour la constitution d’un noyau dur de pays européens afin de rattraper les retards accumulés dans des secteurs stratégiques.

Si les États-Unis et la Chine constituent les deux plus grandes puissances mondiales, leurs conceptions de l’homme ainsi que leurs visions économiques et stratégiques diffèrent, cette fois, totalement. Pour l’économiste libéral Christian Saint-Étienne, qui enseigne au Conservatoire national des arts et métiers et qui publie Trump et Xi Jinping, les apprentis sorciers (L’Observatoire, novembre 2018), le risque d’un conflit militaire direct pourrait atteindre son pic dans moins de cinq ans.

LE FIGARO. – La trêve commerciale conclue entre Donald Trump et Xi Jinping lors du récent G20 efface-elle la rivalité entre la Chine et les États-Unis ?

Christian SAINT-ÉTIENNE.- Le conflit commercial entre les deux puissances n’est qu’un élément de leurs rivalités stratégiques. L’Amérique réalise l’erreur qu’elle a commise en acceptant en 2001 l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC). L’empire du ­Milieu n’a pas appliqué la réciprocité d’ouverture des marchés et s’est livré au pillage technologique de l’Occident. Parallèlement, il s’est doté d’une marine de guerre puissante, en forte croissance, afin de mieux contrôler la mer de Chine, notamment méridionale, qui concentre 20 % du commerce international et d’importantes réserves pétrolières. Dans cette course-poursuite pour la domination économique et stratégique mondiale, Donald Trump n’hésite pas à recourir au protectionnisme, à la remise en cause d’accords (libre-échange, climatique, militaire avec l’Otan). Quitte à jouer contre ses alliés traditionnels, comme l’Europe !

Alors qu’ils ont été relégitimés électoralement, Donald Trump et Xi Jinping mènent, selon vous, une politique suicidaire contre leurs propres peuples…

Au nom de la lutte contre la corruption, Xi Jinping met en place une dictature, déconstruisant ainsi le subtil équilibre des pouvoirs de l’un de ses prédécesseurs, Deng Xiaoping. Gare à lui si la croissance économique du pays, qui compte 1,4 milliard d’habitants, venait à ralentir. Quant à Donald Trump, sa politique de relance fiscale et de protectionnisme, efficace à court terme, est plus aléatoire à moyen terme. L’indispensable deuxième relance fiscale qu’il souhaite se heurtera au creusement, déjà visible, du déficit public et au vraisemblable veto de la nouvelle majorité démocrate à la Chambre des représentants. Les nouvelles taxes sur les importations d’acier et d’aluminium pèseront sur les prix, notamment des voitures, au plus grand dam des classes populaires. La question est de savoir si ces effets se feront sentir avant ou après l’échéance présidentielle de 2020.

La rivalité entre les États-Unis et la Chine passe par la maîtrise du numérique…

La Chine est en train de rattraper son retard par rapport à son rival américain, notamment dans l’intelligence artificielle. Ce domaine est hautement stratégique en raison de ses dimensions à la fois politique (reconnaissance faciale avec la déclinaison en Chine du système particulièrement liberticide du « crédit social », qui permet de noter les citoyens), économique (robotisation dans l’industrie, transactions financières par téléphone mobile), scientifique (médecine, bio et nanotechnologies), militaire (satellites, renseignements). L’« iconomie » (économie numérique), en elle-même, représente un enjeu important. La Chine et les États-Unis, qui contrôlent chacun 1 milliard de personnes connectées, entendent s’arracher, via la 5G, le troisième milliard de personnes issues de la classe moyenne mondiale. Dans l’acquisition d’entreprises numériques à travers le monde, la Chine joue finement. Alors que les Gafam américains (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) exportent leurs marques, les Bathx (Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei et Xiaomi) se développent incognito hors de Chine.

Dans ce maelstrom, quid de l’Europe ?

L’Union européenne, affaiblie et éclatée, accumule les retards dans la plupart des secteurs : économie, numérique, scientifique, militaire, spatial… Le traité de Rome a imaginé la construction européenne sur le principe de la concurrence, ce qui est vertueux sur les marchés des biens et services, mais nocif en matière fiscale et sociale. Comme on l’a vu lors des tweets peu amènes de Donald Trump à l’égard du président Macron, il est temps que l’Europe se ressaisisse. Pour cela, je préconise la constitution, dès les prochains mois, d’un noyau dur de pays (France, Allemagne, Autriche, Benelux, Italie, Espagne, Portugal) sensibles à la volonté des peuples de préserver l’identité et la souveraineté des nations. Ces pays se doteraient d’un budget qui atteindrait rapidement 2 à 3 % de leur PIB (9 000 milliards d’euros). De quoi rattraper le retard dans les infrastructures et les technologies décisives, comme la 5G, pour le futur proche. Ce noyau dur pourrait nouer une alliance militaire forte avec le Royaume-Uni issu du Brexit.

Dans cette perspective, le couple franco-allemand fonctionne-t-il ?

Au-delà de leur fragilité politique respective, Emmanuel Macron et Angela Merkel ne sont pas sur la même ligne. En juillet dernier, Peter Altmaier, le ministre allemand de l’Économie, a proposé de créer rapidement un acteur stratégique franco-allemand dans l’intelligence artificielle et la voiture autonome. Il n’y a pas eu de réponse française ! Une proposition qui se heurtait au souhait, avancé quelques mois plus tôt par Emmanuel Macron, de créer un budget de la zone euro dont le but n’était pas de permettre à l’Europe de rattraper son retard dans la nouvelle révolution industrielle mais seulement d’aider les pays qui n’équilibraient pas leurs comptes publics. Une offre inacceptable pour l’Allemagne comme pour les pays du Nord. Ce raté se décline également en France. Adepte de la start-up nation, Emmanuel Macron va consacrer, en cumulé sur la durée du quinquennat, 50 milliards d’euros à la suppression de la taxe d’habitation, sans compter l’actuel renoncement à la hausse des taxes écologiques. Une somme qui aurait été mieux investie dans la réindustrialisation et dans les territoires pour réduire la fracture sociale. Le gouvernement aurait pu alors éviter la violence du mouvement des « gilets jaunes ».

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