Le Figaro – 14 janvier 2019
Emmanuel Macron a commis une triple erreur : il n’a pas baissé la dépense publique, a ignoré les deux France du déplacement et n’a pas relancé le moteur industriel.
Il faut revenir sur l’origine du conflit des « gilets jaunes ». Emmanuel Macron s’est fait élire sur la promesse de réduire la dépense publique mais a tout de suite écarté les mesures qui permettraient de la dégonfler. Puis il a ignoré la division des deux France du déplacement. Enfin, il n’a pas relancé le moteur industriel. Ce faisant, il a contribué à enfoncer davantage encore la voiture France dans l’ornière en dépit de l’utile réforme du marché du travail. Analysons ces différents points.
La dépense publique française dépasse celle de la moyenne des dix-huit autres pays de la zone euro de 9 points de PIB et celle de l’Allemagne de 12 points de PIB. Les dépenses de retraite atteignent 14 points de PIB, soit le quart d’une dépense de 56 points du PIB. Pas de baisse de la dépense publique sans réforme des retraites. Or Macron a triché en prétendant régler le problème par un régime par points qui n’est qu’un mode de calcul des droits à retraite. De plus, cette réforme est contestable, car elle méconnaît les besoins différents des trois catégories de travailleurs : les fonctionnaires, dont certains sont planqués mais un grand nombre travaillent à la dure – qui veut être flic à 1 500 euros net par mois ou infirmière d’urgence à 1 600 euros net par mois ? – ; les salariés, dont la retraite est essentiellement financée par les charges patronales – cotiseront-ils suffisamment lorsqu’ils devront accumuler des points pendant quarante-quatre ans pour une retraite qui semble loin des besoins immédiats ? – ; et les indépendants qui arbitrent entre retraite et constitution d’un patrimoine. Il convient de passer des 42 régimes de retraite existants à 3 régimes adaptés à ces trois catégories avec les mêmes règles : âge de départ à 64 ans, avec décotes et surcotes pour introduire de la flexibilité, une durée de cotisation de quarante-quatre ans dès 2024 et des règles appropriées pour les emplois pénibles.
Macron a également annoncé la suppression de la taxe d’habitation, qui est pourtant un impôt juste s’il est calculé sur des bases locatives actualisées, car il correspond à un service rendu localement. Cette suppression conduit l’État à faire en urgence les fonds de poche des Français pour compenser le trou de recettes qui atteindra 20 milliards d’euros à l’horizon 2020. On avait ainsi prélevé 3 milliards d’euros sur le gasoil, quelques centaines de millions d’euros en supprimant les crédits d’impôt sur les fenêtres, etc., avant d’annuler ces mesures. La réforme des retraites présentée précédemment permettrait d’économiser progressivement 25 milliards d’euros par an d’ici à six ans. Macron s’est ainsi privé d’une augmentation de ses marges de manœuvre de 45 milliards d’euros par an qui auraient pu être utilisés pour réduire le déficit de 25 milliards d’euros et pour financer à hauteur de 20 milliards d’euros par an la réindustrialisation et la numérisation du pays. Ce trou de 45 milliards d’euros annuels dans les finances publiques va le hanter jusqu’à la fin de son quinquennat qui semble aujourd’hui largement compromis.
Enfin, face à l’équation de la croissance durable, Macron a ignoré l’existence des deux France du déplacement. La population métropolitaine de 65 millions d’habitants se scinde en 25 millions vivant dans des grandes villes connectées avec des transports en commun et des marchés de l’emploi dynamiques et une France de 40 millions d’habitants vivant dans des villes moyennes ou des zones rurales sans ou avec peu de transports en commun. Cette deuxième France ne vit pas forcément mal, mais elle a besoin de sa voiture pour vivre, travailler, aller chez le médecin ou emmener les enfants à l’école. Miser la transformation environnementale sur une hausse massive du prix du gasoil alors qu’on a encouragé pendant trente ans la deuxième France à s’en équiper – chauffage ou voiture au gasoil qui émet beaucoup moins de CO2 et pas tellement plus de particules pour les moteurs les plus récents – est une atteinte à sa dignité autant qu’à son portefeuille.
Enfin, Macron n’a pas plus que ses prédécesseurs compris la nécessité de réindustrialiser le pays après une vague massive de désindustrialisation pendant vingt ans fondée sur le mythe de l’entrée dans un monde post-industriel et post-travail alors que nous sommes dans la révolution du numérique et de la robotique. « Pas d’industrie » veut dire pas d’exportation et pas de R&D, car partout la R&D industrielle représente plus de 80% de la R&D des entreprises. Il a pris quelques mesurettes, comme une annonce de 1,5 milliard d’euros d’investissements dans l’intelligence artificielle sur la durée de son quinquennat, alors que sur la même durée il alloue 50 milliards d’euros en cumulé pour supprimer la taxe d’habitation.
Certes, le « gilet jaune » est l’habit commode de tous les désarrois et la couverture d’une insupportable violence, mais sans création d’emplois rémunérateurs dérivés de l’industrie et des secteurs qu’elle entraîne, il ne peut pas y avoir de hausse réelle du pouvoir d’achat.
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