Le Monde – 27/02/2020

Comment relancer la production dans les territoires ?, interroge le Professeur titulaire de la Chaire d’économie au Conservatoire national des Arts et Métiers dans une tribune au « Monde ».

La mutation vers l’économie numérique, qui s’accélère et va encore s’accélérer, est complétée par une mutation territoriale sur l’ensemble de la planète : la métropolisation de la croissance et, plus fondamentalement encore, la territorialisation de la croissance. Les innovations se produisent essentiellement dans des métropoles ou des territoires accueillants pour les entrepreneurs, les investisseurs et les chercheurs. Ces territoires, à condition d’être structurés par des pôles métropolitains en réseaux et que nous nommerons territoires métropolisés, facilitent la dissémination des innovations au sein de l’écosystème de production et d’innovation qu’ils créent par leurs politiques fiscales, sociales et environnementales.

La question centrale, en lien avec les territoires qui se sentent abandonnés, est claire : faut-il freiner la métropolisation pour sauver les territoires en difficulté ou les accrocher à des métropoles dynamiques ? Dans le premier cas, on cherche à bloquer les mouvements de l’océan, dans le second à surfer sur les grandes vagues. On peut, naturellement, souhaiter bloquer l’océan.

Pour surfer sur les grandes vagues, les territoires doivent travailler avec les métropoles modernes, villes multi-activités à forte densité maîtrisée de population qui visent à favoriser une innovation de conception dans un large spectre de domaines : nouvelles technologies numériques et biologiques, finance, défense, énergie ou cleantechs (technologies de l’environnement). En particulier, la métropole moderne ne rejette pas l’industrie car les services à forte valeur ajoutée s’appuient sur une industrie puissante. Ces métropoles doivent travailler avec leurs territoires sur des politiques de réindustrialisassions en s’appuyant sur la robotique, le numérique, le rapatriement des productions délocalisées, par exemple dans la pharmacie : est-il raisonnable que l’Europe dépende à plus de 60 %, pour la production des médicaments, de bases importées de Chine ou d’Inde ? Faut-il abandonner les décisions de délocalisation, dans les domaines engageant la survie des populations, aux entreprises ou édicter des règles publiques en la matière ?

Dans un rapport publié par l’OCDE (The Metropolitan Century, 2015), l’organisation analyse l’impact de la métropolisation de la croissance sur l’évolution internationale. La proportion d’urbains dans le monde va passer de 52 % en 2015 à 67 % en 2030 (contre 5 % en 1800). Le nombre de villes de plus de dix millions d’habitants va croître de 23 aujourd’hui à 37 d’ici dix ans. La population urbaine de la planète devrait passer de 1 milliard de personnes en 1950 à 6 milliards de personnes en 2050 et la moitié de la population de l’OCDE vit dans 300 villes comptant plus de 500 000 habitants. Les révolutions industrielles sont des révolutions urbaines, la causalité étant à double sens. Les métropoles sont des villes qui se dotent d’une stratégie de croissance et d’une gouvernance forte pour la mettre en œuvre.

Dans le développement des métropoles et des territoires, c’est l’offre de politique stratégique qui détermine la demande des investisseurs et entrepreneurs pour travailler et investir sur ce territoire. Et c’est la même démarche qui doit être adoptée par les territoires en difficulté qui, pour se lancer et disposer des moyens d’action nécessaires, doivent s’allier aux métropoles dynamiques les plus proches. L’Etat et les régions doivent œuvrer pour provoquer ces rapprochements et les rendre opérationnels.

Tout le travail de construction d’un projet territorial partagé ne vise qu’à créer les conditions de la croissance dans le développement durable. Pour passer des conditions de la croissance à la croissance, il faut l’engagement des entrepreneurs et des investisseurs, de toutes les forces économiques et sociales, et de toutes les forces scientifiques et culturelles.

Si la France compte une quinzaine de grandes villes s’organisant progressivement en métropole, le pays compte 1 200 bassins de vie. Un bassin de vie est défini comme un territoire sur lequel plus de 80 % de la population de ce territoire y vit, travaille, s’éduque, se soigne et passe ses loisirs. Il se trouve que ces bassins correspondent presque exactement aux 1 200 intercommunalités qui maillent la totalité du territoire. Il faut les transformer en communes métropolitaines travaillant avec les régions et l’Etat sur des projets territoriaux.

La commune métropolitaine, nouveau nom des intercommunalités à élection directe dont les communes deviennent les subdivisions, doit présenter tous les trois ans un plan stratégique glissant de six ans dont la cohérence territoriale est assurée par le département dans le cadre d’une stratégie régionale. Ce plan définit les investissements communaux dans les transports, la santé, l’éducation, le développement économique et le logement. Les 1 200 Exécutifs territoriaux ainsi créés, qui sont en pratique la transformation des conseils actuels des intercommunalités en Exécutifs élus directement, peuvent gérer en cohérence les sujets du développement économique et de l’emploi, de l’éducation, de la santé, des transports et des loisirs sur un bassin de vie. La commune métropolitaine devient le support de la réforme du système de santé qui organise la multiplication des maisons de santé afin de mailler à nouveau les territoires en services de santé et de développer la médecine préventive.

La mise en cohérence des plans stratégiques des métropoles et communes métropolitaines par les régions et l’Etat doit être le fondement de la nouvelle politique territoriale qui s’impose à notre pays.

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