Le Figaro – 17 juin 2020

Selon les organisations internationales, nous allons connaître une crise économique 50 % plus grave que celle de l’Allemagne, argumente le professeur titulaire de la chaire d’économie au Conservatoire national des arts et métiers.

La France attend un rebond économique après la crise du Covid-19 comme on attend un miracle. Mais sans changement de cap, et même avec un retour à une activité économique « normale », le pays va continuer de dériver.

On ne peut pas comprendre ce qui nous attend sans une analyse du confinement. Non seulement l’État, qui a le niveau de dépense publique le plus élevé des pays développés, n’avait pas de masques et de tests pour tracer l’épidémie, mais il a procédé au confinement le 17 mars en mode panique sans stratégie affirmée effectivement mise en œuvre. Les commandes massives de masques n’interviennent qu’après le confinement et la stratégie visant à tracer, à masquer et à isoler n’est réellement mise en œuvre qu’à mi-avril. À mi-mai, on mène enfin la bonne approche pour identifier les foyers et les traiter immédiatement. Cette incapacité du gouvernement et de l’appareil d’État d’apprendre des pays qui réussissent à contrôler l’épidémie sans confinement, comme la Corée du Sud, Taïwan ou Singapour vient de loin. Certes, d’autres pays ont été en difficulté, comme l’Italie, mais on pouvait attendre de l’État français une réponse plus professionnelle. Or on découvre en mars-avril, que notre pays a trois à quatre fois moins de lits de réanimation que l’Allemagne alors que nous dépensons plus pour la santé (en pourcentage du PIB).

Les élites politiques françaises ont majoritairement une formation administrative et juridique qui ne les invite pas à l’ouverture internationale mais les conditionne à l’aveuglement dès qu’un changement majeur intervient. Lorsque l’État centralisé et aveugle se retrouve désemparé fin mars, incapable de commander massivement des masques alors que des régions, des villes ou le secteur privé y parviennent, il utilise la réquisition avec pour seul effet de casser toutes les filières d’approvisionnement au lieu de les coordonner.

Et ces mécanismes d’autoblocage, d’aveuglement et de réquisition autoritaire visant à cacher son impuissance, sont toujours à l’œuvre. Qui peut penser que cet État peut conduire un déconfinement rapide et ordonné, puis la nécessaire transformation de la nation ? D’autant que selon les organisations internationales nous allons connaître une crise moitié plus grave que celle de l’Allemagne. Le poids relatif de l’économie française par rapport à l’allemande va continuer de chuter, accélérant l’effritement à l’œuvre depuis quinze ans à cause de la désindustrialisation de notre pays.

Or le gouvernement a pris peur, début mai, à l’idée que l’on allait découvrir, qu’à l’impréparation catastrophique au début mars s’est ajoutée son incapacité à décider et à adopter la bonne stratégie. À partir de ce moment, consciemment ou inconsciemment, le gouvernement a ralenti le déconfinement pour justifier ses errements par la gravité supposée de la crise sanitaire alors que le nord de la zone euro déconfinait à partir du 27 avril, au point de provoquer une crise économique d’une ampleur inouïe. Nos dirigeants pensent que l’économie fonctionne comme un moteur qu’on rallume en appuyant sur un bouton. En réalité, plus on retarde le déconfinement et plus on aggrave la crise économique.

Certes, le gouvernement a pris quelques mesures techniques utiles comme le mécanisme du chômage partiel, néanmoins surcalibré, ou les prêts garantis par l’État (PGE) qui posent la question de la sortie en fonds propres pour que les entreprises puissent investir. Mais un nouveau risque stratégique apparaît. Le recul d’un dixième du PIB en 2020 ne se traduit pas par un recul de 10 % de l’activité de toutes les entreprises, mais par la faillite ou restructuration de 15 % des entreprises tandis que 30 % d’entre elles vont être en plein boom. L’entre-deux va surnager difficilement.

À supposer que l’économie rebondisse, ce n’est pas un rebond qui se prépare mais une mutation vers le numérique, l’écologie et les industries de souveraineté à condition d’agir avec détermination. Les fonds de capital-investissement veulent mobiliser 6 milliards d’euros avec les assureurs et l’aide de l’État pour accélérer ce mouvement tandis que Bercy travaille sur un fonds garanti par l’État de 10 milliards d’euros sous forme de prêts participatifs. Déjà des semaines de discussion et pas de décisions fortes.

Surtout, les Allemands ont mis 100 milliards d’euros sur la table en fonds propres pour accélérer la mutation de leur économie. Il faut que la France mobilise 75 milliards pour provoquer, accompagner et accélérer la mutation de notre économie. Ces fonds propres doivent permettre des prises de participation de 10 % à 30 % par augmentation de capital dans les 20 000 entreprises qui font l’économie française, avec des interventions de 5 à 500 millions d’euros selon les secteurs, les enjeux et la taille des entreprises.

Il n’y aura pas de miracle. Soit nous prenons la mutation à bras-le-corps, soit nous disparaissons comme puissance autonome. Où sont les de Gaulle ?

Crédit photo : Anthony Choren on Unsplash

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