L’Opinion – 14/12/2021

Pour l’universitaire, « trois contrats doivent être explicités pendant la campagne présidentielle : productif, social et civilisationnel.

La France va mal, alors qu’elle a tous les atouts pour redevenir une puissance qui compte, dans une Europe qui doit changer de nature pour affirmer sa souveraineté stratégique. Le rebond de croissance ramène le PIB de 100 en 2019 et 92 en 2020 à 98 en 2021. Il n’y a pas de miracle.

Au moment où la campagne présidentielle s’accélère, le pays est nerveux et insatisfait. Après vingt-cinq ans de mise en œuvre de l’idéologie de la fin du travail, avec la loi Robien de 1996 et les lois Aubry sur les 35 heures, et du délire de l’entreprise sans usines théorisée par Serge Tchuruk en l’an 2000, la France est éviscérée :la désindustrialisation du pays est la plus forte de tous les pays développés, et le désir du travail bien fait s’est évaporé dans un laisser-aller symbolisé par l’état pitoyable de la ville de Paris.

Or ce laisser-aller et cette saleté symbolique indisposent les Français. Une France qui s’est sublimée dans la recherche de l’excellence au cours du Grand Siècle, dans l’art et la fabrique au XVIIIe siècle, la science et l’industrie jusqu’à la Première Guerre mondiale et les années 1920, et la Reconstruction pendant les Trente glorieuses, s’abîme dans la facilité depuis les années 1980.

Excellence. Le peuple français est malheureux lorsqu’il n’est pas appelé à l’excellence qui transcende ses savoir-faire dans l’aviation, la chimie et la pharmacie, le luxe ou la navigation, la littérature ou la fabrication de bons ingénieurs trop longtemps détournés vers la finance. Seul un coup de reins peut permettre au pays de se redresser. Trois contrats doivent être explicités pendant la campagne présidentielle : productif, social et civilisationnel. Une réorientation de la construction européenne s’impose.

La réindustrialisation par l’innovation, la numérisation et la robotisation du système productif est une nécessité impérieuse. La part de l’industrie manufacturière dans le PIB a baissé de 14 % à 10 % de 2000 à 2019. A cette dernière date, cette part est de 20 % en Allemagne. Sur les vingt dernières années, la part de l’industrie manufacturière française a baissé de 20 % dans les exportations de la zone euro, de 30 % dans le PIB de la France et notre part dans les exportations mondiales de biens et services a baissé de 40 %. C’est un effondrement historique, sans équivalent en temps de paix depuis le début de l’industrie il y a deux siècles et demi.

La transformation des minima sociaux en accompagnement de la reprise d’une activité remet 1 million de personnes au travail sur la même durée, ce qui améliore les finances publiques de 15 milliards d’euros (baisse des prestations et hausse des cotisations). Au bout de six ans, l’amélioration est de 40 milliards d’euros par an.

Le gouvernement a annoncé un plan France 2030, doté de 30 milliards d’euros déployés sur 5 ans pour atteindre 10 objectifs d’ici 2030, qui est davantage un outil de communication qu’une stratégie de réindustrialisation. Cette dernière passe par la création d’un ministère de l’Industrie, de l’Energie et de l’Innovation ayant la main sur la politique de recherche et développement, de formation scientifique et technique, et d’incitation massive à la numérisation et robotisation de l’agriculture, de l’industrie et des services afin de doubler l’augmentation de la productivité nationale pour permettre au pays de retrouver rapidement une croissance de 2 % l’an. Le budget alloué doit être rapidement de 30 milliards d’euros par an, à comparer au budget de protection sociale de 850 milliards d’euros en 2022.

L’effort national de R&D doit tendre vers 3 % du PIB. Il faut une vingtaine de collèges universitaires, de 10 000 étudiants chacun, de formation au numérique dont le codage et les services informatiques de conception et de production. La politique de réindustrialisation s’appuie sur une dizaine de filières d’excellence (défense, informatique et robotique, chimie, pharmacie, appareillages médicaux, énergie, agroalimentaire, transport, espace, finance de fonds propres).

A ce contrat productif répond un contrat social de mobilisation du pays.La réforme des retraites (64 ans d’âge de départ et 44 années de cotisation) permet d’économiser 25 milliards d’euros par rapport à la tendance actuelle au bout de six ans. La transformation des minima sociaux en accompagnement de la reprise d’une activité remet 1 million de personnes au travail sur la même durée, ce qui améliore les finances publiques de 15 milliards d’euros (baisse des prestations et hausse des cotisations). Au bout de six ans, l’amélioration est de 40 milliards d’euros par an (25 + 15).

Compétences. La réforme de l’école, prenant en compte les acquis de la science depuis vingt ans, permet de s’assurer que tous les élèves maîtrisent les trois compétences – lecture, écriture, calcul – à la fin du CE1. Des évaluations des compétences acquises permettent d’orienter les enfants à la fin de l’école Primaire. L’entrée en apprentissage, couplée à un enseignement exigeant, peut intervenir à la fin de la 5e. Le brevet vérifie à nouveau l’aptitude à suivre l’enseignement du lycée. Un effort considérable de formation des maîtres du Primaire et une rénovation des enseignements techniques sont financés par des compléments budgétaires atteignant 10 milliards d’euros au bout de 6 ans.

Ces deux contrats autofinancés rendent possible un contrat de civilisation par lequel la vocation à l’excellence de la France et à l’universalisme de la république est réaffirmée. L’enseignement de l’histoire est rénové avec une insistance sur les grands faits de civilisation et les dates et périodes clés permettant aux élèves de se situer dans le temps. L’enseignement de la géographie est revalorisé afin de permettre aux élèves de se situer dans l’espace français et européen.

Une France en voie de réindustrialisation, ayant repris le contrôle de ses finances publiques, menant une politique d’innovations dans les domaines civil et militaire, peut à nouveau affirmer sa vision du monde, ses valeurs et défendre ses intérêts dans le cadre d’une Europe souveraine

La mise en œuvre de ces trois contrats permet de redonner à la France la capacité d’impulser une évolution cruciale vers une Europe plus souveraine, ce qui suppose une réforme institutionnelle de l’organisation de l’Union européenne. Cette dernière, obéissant aux intérêts des Etats-Unis, n’est pas capable de conclure des accords avec la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie permettant de stabiliser les équilibres géostratégiques de l’Ecosse à Vladivostok. Sa position de faiblesse en Méditerranée permet aux démocratures de mener des politiques dangereuses. L’incapacité de contrôler les frontières ridiculise toute proclamation politique. Sur le plan commercial, l’absence de réciprocité permet aux Chinois et aux Américains de se servir du marché unique sans un accès équivalent en Chine et aux Etats-Unis.

Il faut recentrer l’UE sur le marché unique, une politique commerciale fondée sur la réciprocité et une politique de la concurrence qui considère le marché mondial comme marché pertinent sauf exceptions. En dehors de ces trois domaines, seuls soumis à la Commission européenne et à la Cour de justice européenne, toutes les autres fonctions de l’UE sont transférées à une nouvelle organisation intergouvernementale, sous le nom de Coopérative des Etats libres, qui prendra les décisions à la majorité qualifiée des nations composantes. L’UE doit évoluer vers des noyaux de pays menant des politiques fortes en matière de recherche, de défense, d’industrie, etc.

Une France en voie de réindustrialisation, ayant repris le contrôle de ses finances publiques, menant une politique d’innovations dans les domaines civil et militaire, peut à nouveau affirmer sa vision du monde, ses valeurs et défendre ses intérêts dans le cadre d’une Europe souveraine. Il n’y aura pas de miracle sans effort. Si l’on ne met pas rapidement en œuvre les trois contrats – production, social, civilisationnel –, la descente aux enfers du pays va s’accélérer.

Crédit photo : Yuedongzi CHAI

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