Les Echos – 22/12/2021

Par Vincent Lorphelin & Christian Saint-Etienne

Les films « Matrix » et « Ready Player One », les jeux Fortnite, Minecraft et Roblox illustrent ce que seront les métavers : des univers virtuels dans lesquels les avatars des utilisateurs se rencontrent pour se distraire ou travailler. Hors de la science-fiction les métavers ont déjà un embryon d’économie : le rappeur Travis Scott a récolté 20 millions de dollars grâce à un concert virtuel. La vente d’objets virtuels, armes ou vêtements, représente plusieurs milliards d’euros. Les plateformes de discussion instantanée, de visiophonie ou de collaboration en ligne se valorisent à des dizaines de milliards.

C’est la nouvelle grande vision dans le monde numérique, portée au premier rang par Facebook et Microsoft, suivis par les Big Tech chinoises et des centaines d’autres. Le métavers est un concept transitoire, comme le fut le multimédia à son époque, donnant une cohérence à une multitude d’innovations déjà opérationnelles dont l’impact va être systématisé et amplifié.

Le métavers est une innovation de rupture conduisant à une nouvelle organisation de la production. Le modèle de référence est jusqu’à présent celui de l’entreprise industrielle. Wikipédia a montré comment organiser un projet sans hiérarchie avec des millions de contributeurs. Uber met en relation clients et fournisseurs sans autre intermédiaire. Zoom accélère le télétravail. Google Map a montré comment les cartes thématiques facilitent la vie, suivi par les maquettes 3D, la réalité augmentée et les autres jumeaux numériques. L’intelligence artificielle augmente la productivité en reconnaissant les pathologies sur des photos médicales. La blockchain, technologie née avec le bitcoin, permet de tracer, attester et rémunérer toute création, invention, contribution, propriété et partage, y compris pour des richesses infinitésimales comme un clic ou une data. Les cryptomonnaies rendent l’argent plus intelligent que les points de fidélité et les chèques essence. Les métavers sont la combinaison de toutes ces fonctionnalités et de leurs évolutions.

Les vagues successives de la révolution numérique ont bousculé des secteurs entiers comme les télécoms, les médias ou les commerces, et fait triompher les Big Tech. Ces derniers fournissaient des applications, ils fourniront des infrastructures et équipements. Leur modèle idéal est celui des Apple et Google Stores, qui contrôlent les applications sur smartphones et prélèvent 30 % de leurs revenus. Ceci renforcera leur pouvoir sur la formation, le savoir, la création, l’innovation, la collaboration, la commercialisation, la finance et la gouvernance. Bref, sur toute l’économie.

La nature des enjeux a déjà été révélée par le « cloud computing ». De même, les métavers sont des vecteurs d’innovation et de croissance, mais fournis par les Big Tech, ils représentent, en contrepartie, un risque de perte de souveraineté économique. Or, si le cloud est à la transition numérique ce que la centrale électrique était à la révolution industrielle, les métavers sont l’équivalent des éclairages et machines électriques.

A cause d’une mauvaise appréhension de ces enjeux, la politique économique risque de prolonger les erreurs commises avec le cloud. Au motif de la souveraineté, elle freine l’adoption de technologies pourtant essentielles à notre puissance économique. Comme si l’on avait freiné l’usage de l’ampoule électrique au motif que son inventeur, Edison, était américain ! Il fallait, bien sûr, l’adopter, en avance sur nos concurrents, pour innover, depuis le cinématographe jusqu’au scintillement de la tour Eiffel.

Ce que l’action publique doit freiner, ce sont les cyberattaques, les pratiques anticoncurrentielles des Gafa, leurs excès de captation et d’exploitation des données. Ce qu’elle doit encourager, c’est l’utilisation intensive des technologies par les TPE-PME et les aides à l’innovation. Pour ne pas reproduire nos dix ans de retard sur le cloud, l’Etat doit définir dès aujourd’hui, comme l’a fait la Corée du Sud, sa stratégie pour les métavers.

Crédit photo : James Yarema

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