Les Echos – 03/02/2022

Notre économie est servicielle, mais nos exportations sont manufacturières. Redresser le déficit extérieur passe par des mesures en faveur de l’industrie.

Après trente ans de désindustrialisation massive ayant réduit la part de l’industrie manufacturière à 10 % du PIB contre 15 % en moyenne dans les pays développés et 20 % en Allemagne, la France a pris conscience du désastre avec la montée du déficit extérieur. Mais le lien entre désindustrialisation et déficit extérieur est rarement perçu. Le chaînon manquant réside dans ce que je nomme le paradoxe des deux fois 80 %. Dans les 36 pays développés démocratiques (Union européenne, Suisse, Norvège, Royaume-Uni, Etats-Unis, Canada, Japon, Corée du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande), le poids de l’industrie manufacturière est de l’ordre de 15 % du PIB, tandis que les services se situent entre 75 % et 80 % du PIB (le solde étant constitué par le BTP, l’énergie et l’agriculture).

Mais les produits manufacturés, qui représentent 15 % du PIB, atteignent environ 80 % des exportations mondiales hors énergie et matières premières. Donc le paradoxe statistique est que les économies des pays développés sont servicielles mais leurs exportations sont manufacturières. Ce paradoxe est d’autant plus ignoré que, dans un pays comme la France qui est dirigé par une élite administrative, contrairement à la Chine avec 6 ingénieurs sur les 7 membres du bureau politique, ou à l’Allemagne avec le poids du patronat industriel sur les décisions politiques, l’influence politique de l’industrie est marginale. De plus, son image dans l’opinion est dégradée après vingt ans de fermetures d’usines et un imaginaire à la Zola perpétué par l’école et une majorité du corps politique et médiatique.

La solution serait une fuite en avant dans un monde postindustriel d’innovation dans les start-up. Ces dernières jouent un rôle clé dans la modernisation du pays mais contribuent au mieux à 300.000 emplois sur les près de 30 millions de personnes que compte la population active, soit environ 1 %. Sur les 26 licornes françaises, une seule est industrielle et nos start-up contribuent à hauteur d’environ 1 pour 1.000 à nos exportations. De plus, environ 80 % de la R&D privée sont portés par l’industrie. En résumant à grands traits, pas d’industrie veut dire pas d’exports et pas de R&D. Prétendre être une grande nation politique et militaire sans industrie est une farce.

Pour réindustrialiser, il faut comprendre et faire savoir qu’il ne s’agit pas de mettre des aciéries sur la place de la Concorde ou la promenade des Anglais, mais de numériser et robotiser l’ensemble du système productif, de la distribution des biens et services et des industries agroalimentaires.

Trois mesures clés serviront de signal d’une volonté réelle de réindustrialisation. D’abord, la création d’un ministère plein de l’Industrie, de l’Energie, de l’Innovation et de la Formation professionnelle, car il n’y aura pas de retour de l’industrie sans un investissement massif dans l’innovation et la formation des travailleurs. Puis un effort de 30 milliards d’euros par an (à comparer à une dépense publique de 1.450 milliards d’euros en 2022), avec une baisse de 20 milliards d’euros des impôts de production en trois ans (2023-2025), une accélération de l’amortissement des investissements en machines et équipements pour 5 milliards d’euros dès 2023 et des investissements directs massifs dans l’innovation, notamment dans le numérique, la robotique, les biotechs et l’espace, en commençant par tripler le budget de R&D du ministère des Armées dès 2023. Enfin, une politique énergétique ambitieuse visant un doublement de la production d’électricité en dix ans par le nucléaire, l’hydraulique dont le potentiel est très sous-exploité en France, les centrales à gaz autorisées par la taxonomie européenne et les énergies renouvelables passant par un effort d’innovation déterminé sur le photovoltaïque.

Crédit photo : Just a Couple Photos

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