L’Opinion – 14 juin 2023
L’Union européenne s’est construite, de par le traité de Rome de 1957, sur le principe de concurrence en éradiquant toute notion de puissance pour éviter le retour de la guerre sur le continent européen. Mais cette dernière a frappé à nouveau en février 2022 une Europe qui se croyait à l’abri depuis plus de trois quarts de siècle sous la protection des Etats-Unis. Une protection illusoire contre l’absence de principes actifs de médicaments importés à 80% de Chine et d’Inde, de microprocesseurs importés à 80% de Corée du Sud et de Taïwan, de batteries importées de Chine.
Pour l’Union européenne de 1958 à 2020, tous les produits et services étaient indéfiniment disponibles à condition de payer. Depuis le Covid et la guerre en Ukraine, même l’Union européenne a compris que le libéralisme ne rime pas avec négligence, même s’il s’oppose au protectionnisme. Le protectionnisme consiste à favoriser des producteurs nationaux même lorsqu’ils sont inefficaces ou innovent peu. Le libéralisme naïf, celui de l’Union européenne pendant trop longtemps, n’exigeait pas de réciprocité dans le commerce, permettant aux Chinois de faire en Europe ce que les Européens ne peuvent toujours pas faire en Chine.
Six filières clés. La souveraineté par l’innovation consiste à s’assurer que la production des six filières clés de la souveraineté soit assurée à au moins 75% sur son territoire. Ceci suppose une programmation stratégique conduite avec les entreprises dans ces six filières : la défense pour disposer des armements nécessaires, la finance pour financer les conflits éventuels, l’agroalimentaire pour nourrir le peuple en toutes circonstances, l’industrie pharmaceutique pour soigner le peuple, l’énergie pour alimenter le système et le numérique pour le faire fonctionner. Ce sont les six domaines dans lesquels les Etats-Unis et la Chine sont en compétition frontale. L’Europe a largement négligé ces secteurs, acceptant ses dépendances dans chacun de ces domaines.
Mais c’est la France qui est la plus coupable, depuis un quart de siècle, d’avoir laissé filer la dépense publique plutôt que de concentrer son énergie sur la souveraineté par l’innovation. Alors que nous disposions d’une armée complète en 1995, de la première place dans la pharmacie et l’agroalimentaire en Europe au tournant du siècle, d’une large souveraineté énergétique en 2010, nous sommes devenus dépendants dans la plupart des domaines clés de la souveraineté. Ce n’est pas en fermant nos frontières que nous pouvons revenir au premier plan, mais en invitant les principaux acteurs d’excellence de ces secteurs à produire en France dans le cadre d’une programmation stratégique ambitieuse à 15 ans visant à favoriser l’innovation et la production de biens et services dans ces six secteurs.
Nous devons nous doter d’agences publiques favorisant la recherche et l’innovation, comme la Darpa et la Barda américaine, continuer de réduire les impôts de production, accélérer le développement des formations techniques et inviter les grands industriels américains, sud-coréens et taïwanais à venir s’installer chez nous avec de puissantes usines permettant de servir le marché national et l’exportation dans une ouverture d’esprit complète.
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