Les Echos – 01/02/2024
Si la France traîne dans la course à l’innovation, c’est à cause notamment de l’insuffisance de ses entreprises de taille intermédiaire industrielles. Il faudrait doubler leur nombre.
Après un quart de siècle de désindustrialisation, la France tente de se réindustrialiser grâce à la multiplication des start-up et licornes et en accélérant l’innovation avec France 2030, programme de 54 milliards d’euros lancé en 2021 et mis à jour par Emmanuel Macron en décembre 2023. Ce dernier a insisté sur 3 objectifs — la souveraineté, le plein-emploi et la décarbonation — et décliné 7 dossiers : l. stockage d’énergie et nucléaire innovant, 2. hydrogène naturel, 3. captage et stockage de carbone, 4. cartographie de nos ressources en métaux critiques, 5. bioproduction et technologies du vivant, 6. fabrication de microprocesseurs pour l’IA et 7. microlanceurs réutilisables.
La question clé est de savoir si c’est la bonne approche. Or, est parue, également en décembre, une étude de la Fabrique de l’industrie qui analyse sur le plan mondial les innovations de rupture dans 12 domaines : hydrogène pour les transports, batteries pour les véhicules électriques, photovoltaïque, éoliennes en mer, recyclage des métaux stratégiques, carburants durables pour l’aviation, acier bas carbone, recyclage biologique des plastiques, ARN messager, nanoélectronique, spintronique et calcul quantique. Les deux tiers de ces domaines sont au cœur de la stratégie du gouvernement. Les innovations de rupture sont définies dans cette étude sous les deux angles de performance technologique et d’un usage radicalement nouveau sur le marché.
Le discours et la réalité
Hormis l’Allemagne qui figure parmi les quatre premiers déposants mondiaux de brevets dans la moitié des domaines étudiés, les autres pays européens sont rarement dans les leaders et la France n’apparaît pas dans les pays les plus actifs dans ces secteurs. Le divorce apparaît clairement entre les discours et la réalité mondiale.
Quel est le problème ? Ce sont essentiellement les entreprises de quatre pays qui raflent la mise : Etats-Unis, Chine, Japon et Corée du Sud. Il ne s’agit pas des pays eux-mêmes mais des entreprises de ces pays. Les start-up sont peu présentes.
La France des start-up est utile mais ne répond que partiellement à la problématique des innovations de rupture effectivement mises en œuvre à grande échelle. Ce sont les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) technologiques qui font effectivement le travail de l’actuelle mutation accélérée du système productif mondial.
Nous payons le triple phénomène de 1. désindustrialisation accélérée en cours depuis un quart de siècle, 2. de disparition des grands groupes industriels français dans les vingt dernières années (Alcatel-Alsthom—avec un h—devenu Alcatel absorbé et Alstom coupé en deux, Péchiney, Usinor, Thomson, Lafarge, etc.), et 3. d’insuffisance des entreprises industrielles parmi les ETI.
Que faire pour que la France innove davantage ? Certainement pas se désintéresser de la France des start-up ni arrêter France 2030. Nous avons besoin de licornes industrielles (2 sur les 28 licornes françaises), et nous devons accélérer sur France 2030. Mais nous n’avons que 3 filières d’excellence mondiale en France (aéronautique-défense, grands groupes de services techniques, luxe) après avoir frôlé le démantèlement de l’énergie, de l’automobile, de la pharmacie, de l’agroalimentaire, etc.
Il faut donc une politique permettant de reconstituer 6 ou 7 filières d’excellence de rang mondial et doubler le nombre d’ETI industrielles. Ce qui suppose une autre organisation politique, de nouvelles sources de financement en réallouant les moyens, une stratégie déterminée. Facteur d’accélération nécessaire ? Fois dix. Doubler le nombre de licornes industrielles de 2 à 4 est bon pour notre ego. Doubler le nombre d’ETI industrielles de 2.000 à 4.000 nous fera passer du déclin à la prospérité.
Actus en relation
Laisser un commentaire
Nombre de commentaires :