CSEFig210614-ILLLe Figaro – 21 juin 2014

L’auteur, professeur titulaire de la Chaire d’économie au Cnam, insiste sur l’urgence d’une coordination des politiques économiques entre les pays du Nord et ceux du Sud.

Le cœur de la crise de la zone euro est lié à la fin de la circulation de l’épargne du nord vers le sud de la zone dans la mesure où les banques du Nord n’ont plus voulu prêter aux États et aux banques des pays en crise en 2009-2010. Les pays du Sud ont dû comprimer leur demande interne afin d’éliminer un déficit de leur balance courante qui n’était plus finançable. Or, pour que ces pays retrouvent la croissance sans retomber dans le déficit extérieur, ils doivent pouvoir exporter davantage, ce qui suppose de développer l’industrie exportatrice. Progressent-ils dans cette direction ?

De fait, si l’on prend la capacité de production manufacturière des pays périphériques (quatre du Sud : Espagne, Italie, Portugal, Grèce et Irlande), elle a baissé de 20 % de 2008 à 2013, contre 15 % en France (et une hausse de 20 % en Allemagne). La France échappe pour l’instant à son inclusion dans le Sud du fait de la mansuétude des marchés qui continuent à financer son déficit extérieur (jusqu’à quand ?).

Donc, les pays du Sud et la France sont condamnés à une croissance lente pour reconstituer leurs capacités de production exportatrice. Mais cette longue période d’ajustement s’accompagne d’un coût social et politique considérable dans la mesure où les pays du Sud ont vu leur niveau de vie relatif à celui de l’Allemagne baisser de 20 % de 2007 à 2013 tandis que l’émigration des talents de ces pays vers l’Allemagne s’accroît. Jusqu’à quand un tel divorce de perspectives entre le Sud et le Nord de la zone euro pourra-t-il être toléré ? Et que faudrait-il faire pour arrêter le massacre ?

Les économistes et l’Histoire montrent qu’il ne peut pas y avoir de divorce durable entre souveraineté monétaire et souveraineté politique dans une zone monétaire. Il faudra donc construire un gouvernement économique au sein de la zone si l’on veut éviter la récurrence des crises. Un tel gouvernement n’a rien à voir avec la gouvernance punitive qui s’est mise en place depuis 2010. Le gouvernement économique est l’optimisation des politiques monétaire, budgétaire et de change pour atteindre la croissance non inflationniste la plus forte possible. La gouvernance punitive, imposée par l’Allemagne et la Commission européenne, est un ensemble de normes et sanctions enserrant la politique budgétaire des États mais sans objectif d’optimisation des instruments de la politique économique.

Le gouvernement économique de la zone euro doit être complété par la création d’un budget de la zone de 3 % du PIB concernant les politiques de recherche et développement et d’innovation, d’enseignement supérieur et d’infrastructures physiques, énergétiques et numériques de la zone, et par une coordination des politiques fiscales et sociales des pays membres de la zone instaurant des minima fiscaux et sociaux dans ces pays (par exemple, le taux d’impôt sur les sociétés ne doit pas être inférieur à 20 % dans chacun des pays). Pour être clair, il doit y avoir coordination sur la base de taux minima et non harmonisation avec des taux uniques. Le budget de l’Union européenne serait alors plafonné à 1 % du PIB (dont 35 % des dépenses affectées à la politique agricole commune).

Si cette évolution institutionnelle de la zone euro n’intervient pas rapidement et si la France ne retrouve pas un minimum de crédibilité économique et politique en opérant de vraies réformes permettant de reconstruire sa capacité industrielle exportatrice, un retour des tensions en zone euro est plus que probable.

De façon étrange et fascinante, le sauvetage durable de la zone euro dépend de la capacité de la France à se réformer intelligemment, en accordant la priorité absolue au redéveloppement d’une puissante industrie exportatrice, et de la capacité de l’Allemagne à accepter une évolution des institutions de la zone. Est-ce pensable à bref délai ? C’est la question à 10 000 milliards d’euros qui s’impose aux politiques européens, et notamment aux Français et aux Allemands. L’avenir est décidément excitant !

CHRISTIAN SAINT-ÉTIENNE

Actus en relation

Laisser un commentaire

Nombre de commentaires :

Suivez-moi sur Twitter
Derniers passages médiatiques