Interview de Christian Saint-Etienne par Patrice de Meritens – Le Figaro Magazine – 5/12/2014
Même si elle n’apparaît pas encore en ordre, la droite n’a jamais été aussi loin dans ses propositions de réforme, et c’est un véritable facteur d’espérance, explique l’économiste.
> La droite est-elle véritablement en ordre de marche pour redresser la France ?
La question se pose en effet, car on ressent une sorte de désordre dans ce que l’on voudrait être une marche cohérente. Le problème est que les leaders de la droite n’ont pas suffisamment travaillé politiquement ni conceptuellement depuis 1981, et cela parce qu’ils n’ont pas pris conscience de l’entrée de la France dans la troisième révolution industrielle. Alors que les gens qui la composent sont individuellement intelligents et courageux, son organisation a fini par les rendre collectivement médiocres et pusillanimes. C’est dû au système lui-même, que l’on retrouve du reste au PS comme au FN : quand les investitures sont données par les apparatchiks, quand le leadership du parti est obsédé par le placement de ses hommes, il se développe un comportement clanique. Pour réussir la relève et composer un gouvernement de rupture, il ne faudra donc pas se contenter de faire du marketing politique lors de la préparation des législatives de 2017 avec des quotas de jeunes, de femmes, de diversité, etc., mais choisir de fortes personnalités. La seule raison pour laquelle Hollande et son gouvernement ont survécu dans l’hallucinante accumulation d’impéritie et de scandales auxquels on assiste depuis plus de deux ans n’a été possible que par cette désintégration de la droite, qui trouvera peut-être son terme avec l’accession de Nicolas Sarkozy à la présidence de l’UMP. Election paradoxale : après avoir traîné des casseroles qui se sont transformées en jouets de jardin à mesure que les procédures ont avancé – qu’on se rappelle les virulents anathèmes d’Eva Joly à propos de l’affaire Bettencourt et de l’attentat de Karachi -, voilà que celui qui a pu symboliser en 2012 les errements de la droite sera peut-être celui par qui s’opérera le renouveau…
> Pourra-t-il tenir ses promesses comme, par exemple, le fait que pas plus de 50 % du PIB ne devront être consacrés aux dépenses publiques d’ici à cinq ans ? Comment, dans ce cas de figure, passer du général au particulier ?
En passant de l’incantatoire à l’impératif ! Nous sommes actuellement à 57 % du PIB en dépenses publiques, contre 48 % en moyenne dans la zone euro, soit 9 points d’écart. A l’intérieur de nos 57 points, 32 sont consacrés à la protection sociale, contre une moyenne de 25 dans les autres pays ; 7 de nos 9 points d’écart avec la zone euro portant sur le seul budget de la protection sociale, c’est là qu’il faudra opérer les réformes majeures pour redéployer les moyens et réinvestir simultanément dans la troisième révolution industrielle. Il faudra enlever 5 à 6 points sur la protection sociale, et un point hors protection sociale, particulièrement sur l’intercommunalité.
> Là où François Fillon et Alain Juppé se prononcent clairement pour la suppression de l’ISF, Nicolas Sarkozy, après avoir évoqué une possible voie par le biais d’une harmonisation avec la fiscalité allemande, en arrive aussi à cette solution, mais en termes prudents, marquant plus la nécessité que la volonté…
Sarkozy est un homme intelligent et courageux mais, avant tout, un ultrapolitique : le dernier sondage à propos de l’ISF montre que, malheureusement, 65 % des Français sont pour son maintien. Près de 99 % des entreprises étant familiales et l’ISF touchant les actions, il faut sortir ces dernières de l’impôt de façon à reconstruire l’appareil productif en même temps que l’on rassurera les héritiers, quitte à laisser en pâture aux Français l’ISF sur les placements immobiliers et obligataires. Intellectuellement, je suis pour sa suppression totale, mais un simple coup d’œil sur l’histoire de notre peuple me conduit à n’être malgré tout pas trop éloigné de la vision de Sarkozy. Pour ce qui est de la retraite, 65 ans pour Juppé et Fillon, 63 ans pour Sarkozy (là encore, il est politique), j’observe que l’âge de 64 ans avec quarante-quatre ans de cotisations est un impératif absolu qui permettra le retour à l’équilibre à partir de 2024. Il faudra le faire dans la semaine qui suivra l’élection de la nouvelle Assemblée nationale.
> Qu’est-ce qui nous garantit que la droite va concrètement passer à l’action ?
Je me souviens d’un dîner avec François Hollande à l’automne 2006, où il avait dit : « C’est très difficile d’être à gauche en France, quand la droite y est déjà ! » Et de fait, il suffit de comparer les programmes du SPD en Allemagne, du Parti démocrate aux Etats-Unis ou du Labour au Royaume-Uni, pour constater que l’UMP a toujours été le plus à gauche de tous les grands partis de droite des grandes démocraties. Or aujourd’hui, ce n’est plus la victoire d’une faction sur une autre, mais la survie même du pays qui est en jeu. La France joue sa peau ! Le premier point d’espoir se trouve donc dans l’audace même des réformes avancées : jamais la droite n’était allée si loin. Le second point, c’est qu’en majeure partie, les Français y sont prêts. Nous sommes à une époque cathartique de notre histoire. Tout comme les individus, les peuples ne bougent que lorsqu’ils ont peur.
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