Le Figaro – 18 mars 2020
Les conséquences politiques, économiques et sociales du Covid-19 vont être immenses. Les systèmes politiques français et européens sont tenus de se transformer pour éviter une implosion continentale à moyen terme. Dans un premier temps, le gouvernement a annoncé des mesures importantes de confinement à partir du mardi 17 mars, des restrictions fortes de déplacement et des incitations au télétravail tout en laissant ouverts tous les services essentiels. Un fonds public de garantie des nouveaux prêts aux entreprises de 300 milliards d’euros va être mis à en place. Outre les aides au chômage technique jusqu’à 4,5 Smic qui conduiront à verser 84% du salaire net aux salariés (100% au niveau du Smic), le paiement des charges sociales et fiscales des PME est reporté, mais pas le paiement de la TVA puisqu’il correspond par nature à des ventes effectives. Pour les petits commerçants, le paiement des loyers mais aussi des factures d’eau, de gaz et d’électricité est suspendu. Les commerçants et artisans ayant dû arrêter leur activité devraient recevoir une allocation mensuelle de 1500 euros. Ces mesures s’inscrivent dans un plan de soutien de 45 milliards d’euros présenté par le ministre de l’Economie. En outre, Emmanuel Macron a annoncé la suspension des réformes des retraites et de l’assurance-chômage.
L’objectif central de ces mesures indispensables, qui sont prises dans tous les pays développés, est d’éviter des chaînes de faillites qui rendraient impossible le redémarrage de l’économie. Le confinement devrait durer de deux à quatre semaines pour permettre au système sanitaire de pendre en charge les malades du Covid-19. Mais il faut déjà anticiper la suite : quel sera le coût probable de la crise et les dégâts seront-ils transitoires ou permanents ?
Tout va dépendre de la durée de la crise. Si la crise dure moins de six semaines, avec une économie qui reprend assez vite en mai, on évitera le chômage de masse et une crise systémique des finances publiques qui pourrait résulter de la perte de confiance des marchés dans la capacité des autorités françaises à contrôler la situation. Le produit intérieur brut (PIB) baisserait alors de 1% à 2% en 2020, mais ce serait la moyenne d’un net recul au premier semestre et d’un fort rebond au second semestre qui rendrait envisageable une croissance de 1 à 2% en 2021. Le chômage pourrait être contenu autour de 9% au second semestre de 2020. Le déficit public pourrait être de 4 à 5% du PIB en 2020 mais revenir en dessous des 3% en 2021. La dette publique pourrait atteindre 105 à 106% du PIB à fin 2020 avant de se stabiliser en 2021.
Si la crise devait durer plusieurs mois, à la suite d’une reprise de la pandémie après la période de confinement, en revanche, on peut s’attendre à un effondrement de dizaine de milliers de PME et à une remontée rapide du chômage autour de 12%, voire plus. Le déficit public se creuserait de plusieurs points de PIB, jusqu’à 7 ou 8% du PIB tandis que le PIB pourrait baisser en 2020 de 5 à 7% sous l’effet d’un confinement allant de six semaines à trois mois. Dans ce contexte, la dette publique pourrait monter jusqu’à 115% du PIB à la fin de 2020, avant une reprise aléatoire de l’économie en 2021 qui réduirait peu le déficit et verrait la dette publique continuer de s’envoler.
L’enjeu de la réussite du confinement est donc colossal. Au risque sanitaire, s’ajoute le risque économique et social, et donc politique. Selon sa durée, cette crise va mettre à nu la situation structurelle de nos finances publiques. Depuis quarante ans, nous ne voulons pas prendre les mesures permettant d’équilibrer nos finances publiques dans les moments de croissance ce qui nous place en position délicate au début de la crise actuelle avec une dette publique de 100% du PIB. Et nous nous permettons encore des cadeaux irresponsables comme la suppression de la taxe d’habitation alors que c’est une taxe directement justifiée par les services rendus : routes goudronnées, écoles communales entretenues, etc. Il ne faut pas que la crise sanitaire soit le prétexte à ne pas rouvrir les dossiers délicats lorsqu’elle sera passée. Lorsque des analystes appellent en temps normal aux réformes de structures, ce n’est pas parce qu’ils sont atrabilaires et vicieux mais parce qu’ils veulent que le pays soit aussi fort que possible pour faire face aux défis et surmonter les crises comme celle du coronavirus que nous affrontons aujourd’hui.
Si la crise sanitaire est courte, les dérives antérieures reprendront vraisemblablement : affaiblissement continue de notre industrie après la désindustrialisation massive des vingt dernières années, montée de la dette publique dans l’indifférence générale, troubles sociaux permanents qui font plier des gouvernements intrinsèquement faibles depuis plusieurs quinquennats, Etat régalien sous-financé, absence de fonds d’épargne à long terme pour rabâtir notre industrie et nos infrastructures, etc. Au niveau européen, l’Union européenne est le champ clos de la compétition entre les Etats-Unis et la Chine pour la domination mondiale. Les entreprises de ces pays font ce qu’elles veulent en Europe quand l’inverse est strictement contrôlé. La politique commerciale commune de l’Union européenne envisage avec d’infinies précautions, après vingt ans de débats, d’instiller un peu de réciprocité dans les échanges. La question des mesures compensatrices pour les entreprises, notamment chinoises, qui vendent librement en Europe en étant massivement subventionnées dans leur pays d’origine vient d’être renvoyée à 2021 sur injonction de l’Allemagne.
La bouteille à l’encre de la conjecture politique et économique sera brisée dans les prochaines semaines. On verra alors si la France veut se ressaisir quel qu’en soit le prix ou si l’alanguissement dans la médiocrité, qui avilit notre pays depuis un quart de siècle, continue dans l’indifférence générale, quand il n’est pas théorisé comme un horizon sociétal. On observera si l’Europe veut enfin adopter une politique de puissance ou si elle continue de se coucher devant la Chine, les Etats-Unis ou la Russie.
Historiquement, aucun pays ne s’est jamais redressé sans leaders courageux, opérant sur le fondement d’un diagnostic clair, et capables d’expliquer au peuple les mesures prises. L’heure de vérité approche. Nous allons devoir payer le prix d’un quart de siècle de lâchetés en France et en Europe. Les analystes pensaient depuis quinze ans que le choc de vérité serait économique ou politique. Il s’appelle Covid-19.
Crédit photo : Fusion Medical Animation
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