Le Figaro – 10/04/2023

L’effondrement de notre balance commerciale est profondément lié à la faiblesse de notre industrie, analyse l’universitaire et économiste*, une spirale qui explique le déclin économique de la France en Europe et que seule une politique de réindustrialisation massive pourra enrayer.

Le déficit commercial a atteint 164 milliards d’euros en 2022, contre 85 milliards d’euros en 2021. La dégradation du solde commercial de 2019 à 2022 résulte de la dégradation du solde énergétique à hauteur de 60 % et de celui des échanges de produits industriels pour 40 %. Entre 2019 et 2022, la France a perdu des parts de marché et dégradé son solde extérieur dans presque tous les secteurs industriels. Le déficit des échanges de biens et services a atteint 3,3 % du PIB en 2022, soit le déficit le plus élevé depuis 1948.

La part de la France dans les exportations de biens de la zone euro a baissé de 31 % de 2000 à 2022, période au cours de laquelle la part de l’industrie manufacturière dans le PIB a baissé d’autant et notre part dans les exportations mondiales de produits manufacturés a baissé de moitié.

Les économies des pays développés ont un secteur des services qui représente 80 % de leur PIB. On ne peut comprendre l’importance de l’industrie si l’on ignore ce que j’appelle le paradoxe des deux fois 80 %. Alors que nos économies sont à 80 % des économies de services, 80 % des exportations mondiales de biens et services, hors matières premières et énergie, sont des exportations de produits manufacturés. De plus, on croit pouvoir se passer de l’industrie grâce à la recherche et développement (R&D) pour rester à la pointe des transformations globales. Or l’industrie effectue plus de 85 % de la R&D mondiale. Pour dire les choses clairement : « pas d’industrie = pas de R&D et pas d’exportations ».

Il faut également comprendre qu’un pays qui rate une révolution industrielle entre en sous-développement relatif et s’appauvrit rapidement. Ce sont le sous-développement de l’industrie et la dérive de la dépense et de la dette publiques qui expliquent l’effondrement économique relatif de la France en Europe depuis l’an 2000.

La part de la France par rapport à l’Allemagne dans l’industrie de la zone euro a chuté de 49,5 % en 2000 à 35,1 % en 2 021. Le poids relatif de l’industrie française par rapport à l’allemande est donc tombé de la moitié en 2000 au tiers en 2022. Compte tenu des investissements massifs en Allemagne dans la voiture électrique et les semi-conducteurs, le poids relatif de l’industrie française par rapport à l’industrie allemande va continuer de baisser en 2023-2025.

En dépit du plan d’investissement de 30 milliards d’euros sur cinq ans, annoncé en octobre 2021 et intitulé France 2030, – tourné notamment vers les petits réacteurs nucléaires, l’hydrogène vert et la décarbonation, les biomédicaments et l’espace -, la désindustrialisation relative du pays va s’aggraver d’autant plus que ce nouveau plan ne corrige pas les défauts d’éparpillement des précédents Plans d’investissement d’avenir (PIA). Les PIA, initiés en 2010, n’ont permis ni de freiner la désindustrialisation du pays, ni même d’augmenter l’effort national de R&D qui stagne à 2,2 % du PIB.

Notre effondrement industriel depuis près d’un quart de siècle, depuis le dernier point haut de nos parts de marché à l’export en 1999 jusqu’au point bas de 2022, explique notre plongée dans le déficit extérieur massif récurrent, l’affaiblissement des gains de productivité et la paupérisation relative du pays dont le niveau de vie a baissé d’environ 12 % depuis quinze ans par rapport à l’Allemagne. De plus, notre déficit public s’établira à 4,5 % du PIB en 2023, alors qu’il faudrait le réduire en urgence à 1,5 % du PIB pour enclencher une baisse sensible du ratio d’endettement public en proportion du PIB.

Seule une industrie compétitive, numérisée, robotisée et électrifiée et des services à forte valeur ajoutée peuvent nous donner une croissance décarbonée plus rapide offrant des emplois rémunérés 30 % à 50 % de plus que dans les services à la personne. Si le gouvernement a pris tardivement des mesures pour arrêter notre effondrement industriel, il n’y a pas de prise de conscience collective dans notre pays sur la nécessité d’une stratégie de réindustrialisation massive et d’un doublement de la production d’électricité en vingt ans pour compenser l’élimination du charbon et la baisse du recours au gaz et au pétrole. Il faut notamment créer en urgence des zones industrielles vertes capables d’accueillir rapidement des industries propres. C’est la stratégie de l’Allemagne et des Pays-Bas tandis que la France se déchire sur les questions sociales.

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