Les Echos – 9/10/2023

En voulant s’en tenir à une objectif cible strict de 2% d’inflation, la BCE n’a pas la souplesse nécessaire pour s’adapter aux perturbations d’approvisionnement actuelles.

On aborde le plus souvent l’inflation par son impact sur le pouvoir d’achat sans réellement comprendre la source de ce dérèglement. Il y a deux grands systèmes d’allocation des ressources rares, cette allocation étant le problème central de la politique économique. Soit par une administration centralisée dans une économie dirigée, soit par le système des prix.

L’administration centralisée de l’allocation de ressources se termine invariablement par une catastrophe au-delà d’une période initiale où les principaux bénéficiaires du système – les membres du parti unique qui tient le pouvoir – trouvent ça « génial » en le clamant sur les ondes au nez et la barbe de ceux qui crèvent de faim.

Prix nominaux et prix relatifs

L’allocation des ressources, en hommes et marchandises, dans une économie de marché ne se fait pas par les prix absolus mais par les prix relatifs, ce qui est a priori incompréhensibles ! Que le produit x soit à 1 euro et le produit y à 2 euros relève de l’information. L’allocation des ressources intervient par le fait que y = 2x, ce qui est inaudible à la télévision et ne peut être écrit que dans « Les Echos ». Les taux d’intérêt et les salaires sont des prix et l’allocation des ressources humaines, à moyen et long termes, n’est pas la même si le médecin et l’ingénieur gagnent deux fois le SMIC ou sept fois le SMIC.

C’est ici qu’intervient l’inflation qui a l’apparence d’une hausse du niveau général des prix. Si tous les prix augmentent de 10%, les prix relatifs sont constants et l’allocation des ressources inchangée. Le problème central de l’inflation est que les prix nominaux n’augmentent pas au même rythme et que les prix relatifs sont modifiés. Si les prix de l’alimentaire et de l’énergie augmentent respectivement de 15% et de 30% quand le niveau général des prix augmente de 5%, l’alimentaire et l’énergie coûtent beaucoup plus cher en relatif.

Les banques centrales ont mandat de lutter contre l’inflation car elle perturbe le fonctionnement du système des prix relatifs et donc impacte l’allocation des ressources. La Banque centrale européenne a décidé en 1998 que l’inflation ne posait pas de problème si elle était inférieure à 2% mais dangereuse au-delà. On peut considérer que, hors crise d’approvisionnement et hausse déraisonnable des liquidités, la productivité de l’industrie augmentant plus vite que celle des services, une inflation générale à 2% est compatible avec la stabilité totale des prix industriels.

Mais dans un monde en mutation de rapports de force et en crise d’approvisionnement, on peut considérer qu’un objectif d’inflation rigide à 2% est dangereux et qu’il faut lui préférer un objectif de « 2% plus ou moins 1% » qui est compatible avec l’adaptation des agents économiques aux mutations à l’oeuvre. Lorsque les perturbations d’approvisionnement auront cessé, le retour à l’objectif initial s’imposera naturellement.

Paradoxalement, à trop forcer le retour à une inflation à moins de 2% dans un contexte de crise de l’approvisionnement, la banque centrale perturbe davantage le système de prix relatifs qu’elle ne protège en aggravant les tensions. Si dans le même temps elle restreint massivement les liquidités, elle étouffe le fonctionnement de l’économie réelle et devient la principale menace pour la stabilité économique. Si l’inflation se stabilisait à moins de 3% pendant la période de mutation vers une économie verte, on serait proche de l’optimum de politique économique.

 

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