L’Opinion – 27 octobre 2023
Les dernières nations démocratiques libres et indépendantes font face au double défi de la destruction par les cours de justice mondialisées et de la constitution du Grand Sud.
Un débat fondamental se développe, finalement depuis peu avec l’ampleur requise, sur la création de droits dits universels des hommes à être admis dans n’importe quelle nation démocratique (qui n’existent pas dans les dictatures et démocratures qui enserrent aujourd’hui 85% de la population mondiale), au nom du droit d’asile. Et ce, même lorsqu’il s’agit essentiellement d’un droit fondé sur l’opportunité économique de profiter de la prospérité du pays dans lequel on s’impose.
Ce droit d’asile extensif englobe la lutte contre les discriminations, recevant une extension quasi illimitée, et est sous-tendu par l’idée fondamentale de la négation de l’existence de la nation comme entité sensible, car exprimant une identité politique et culturelle et une envie de vivre ensemble fondée sur des valeurs communément acceptées. Ce droit d’asile extensif porté par les cours de justice que l’on peut qualifier de mondialisées au sens où elles nient la supériorité des Constitutions sur les traités et lois nationales alors que cette supériorité de normes est un principe constitutif de la démocratie libérale.
Non seulement la nation n’a plus d’existence philosophique et politique fondamentale, mais elle est instituée en ennemi de l’Empire des droits universels proclamés par les cours mondialisées. Le premier paradoxe de cette lutte est que celles-ci ne s’attaquent qu’aux démocraties libérales, qui accueillent moins de 15% de la population mondiale, car les dictatures et démocratures sont hors de lors portée. Le deuxième paradoxe est que seules les démocraties sont interdites de « nation » alors que les dictatures affirment sans limites les droits de leur nation totalitaire au service d’un parti unique ou d’un chef tout-puissant.
Affrontement.
Or la nation démocratique est bien le seul réceptacle de la volonté de vivre ensemble librement, avec une langue et une culture communes, une sécurité sociale qui lie les individus par une solidarité effective et permanente, une police qui fait respecter la loi et une armée qui défend la communauté nationale. Les droits que garantit la nation lorsque son Etat est efficace, droits de justice et de sécurité, d’éducation et de santé, et de développement intellectuel et moral, sont les vrais droits réels du citoyen d’une nation démocratique. Les nations démocratiques ont un droit absolu de définir le type de société auquel elles aspirent, de déterminer les comportements individuels conformes à leurs valeurs et de s’opposer de façon radicale aux comportements individuels qui les menacent comme aux oukases de l’Empire des cours mondialisées.
Ce n’est pas la première fois que la nation et l’empire s’affrontent.
Deux grandes étapes ont marqué la préparation de la modernité rationnelle laïque après l’effondrement de l’empire romain : l’apparition de l’Etat royal, national et souverain, et la séparation du temporel et du spirituel.
Afin de reconstruire un instrument d’action collective pour assurer la paix et l’ordre public, après la chute de l’empire romain, deux formes d’organisation politique se dessinaient : l’empire, comme rassemblement du monde connu, et la cité (au sens du modèle grec) comme implication de chacun dans la décision commune. Or, pour favoriser l’affirmation d’un pouvoir politique indépendant du pouvoir temporel et spirituel tout puissant d’une Eglise hégémonique en Europe à partir du IXe siècle, l’empire se révélait trop lié à cette dernière, et la cité trop faible. Il fallait « inventer » une forme politique moins limitée que la cité et moins universelle que l’empire. Et ce fut la monarchie nationale qui se développa pour assoir l’indépendance du temporel, c’est à dire du prince souverain, tout en permettant à l’Eglise de consolider son emprise sur le spirituel (voir notamment Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Calmann-Lévy).
La monarchie nationale est à l’origine de l’histoire moderne : processus de passage du féodalisme au capitalisme selon Marx ou de l’aristocratie à la démocratie selon Tocqueville. La monarchie nationale était certes liée étroitement à l’Eglise, mais le fait fondateur et décisif était que le roi était supposé détenir son pouvoir directement de Dieu et non de l’Eglise qui devait s’inscrire dans le royaume – en France -, voire être indépendante de Rome – en Angleterre. Lorsque la processus a été suffisamment avancé, le corps politique national a affirmé son indépendance en soumettant l’Eglise à la Constitution politique du pays. Un travail similaire doit être accompli avec les nouvelles religions.
Séparation des pouvoirs.
Hobbes (Léviathan, 1651) apporta une contribution décisive à l’essor de la monarchie nationale en tirant de la guerre civile anglaise la conclusion que ni les bienfaits de la Nature ni ceux de la Grâce religieuse ne suffisent à assurer la paix entre les hommes. Hobbes confie que le droit illimité de chacun sur toutes choses à un souverain garant de la paix civile fondée sur l’Etat de droit national mis en oeuvre par le souverain. Locke (Traité du gouvernement civil, 1690) insiste sur l’importance du travail et de la propriété pour arracher l’homme à la misère. Pour protéger le droit à la propriété et celui de contracter librement, il faut des lois qui s’appliquent à tous, y compris au souverain, ce qui implique l’existence d’une assemblée législative pour rendre ces lois générales. Le pouvoir exécutif est soumis aux lois comme les citoyens. Montesquieu (De l’Esprit des lois, 1748) a théorisé ensuite la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire).
Les Constituants français et américains fonderont leurs Constitutions et Déclarations nationales sur les travaux de penseurs libéraux. Il était évident pour ces derniers et pour les Constituants que l’Etat de droit s’affirme dans un cadre national et que l’Etat régalien national est responsable de la mise en oeuvre de l’Etat de droit national, un Etat de droit qui n’est réel qu’en démocratie. Si dans l’esprit des Constituants il y avait universalité, c’était et c’est celle du modèle de l’Etat de droit national garant des droits des citoyens en démocratie.
L’idée que les individus puissent passer d’un Etat à l’autre sans l’autorisation de l’Etat de réception aurait choqué les Constituants des Lumières comme manifestation du refus des droits des nations à s’autodéterminer. C’est pour cela que le droit d’asile a toujours été strictement codifié et que les migrations ont été strictement contrôlées lorsque l’Etat de droit national n’était pas contesté dans les démocraties. Le droit d’asile d’un candidat doit être évalué aux frontières, ou dans le pays d’origine lorsque c’est possible.
Grand Sud.
On est par nature citoyen d’un république et l’on jouit des droits de l’Homme lorsque la république est organisée selon les institutions de la démocratie libérale représentative opérant dans un cadre national. La volonté des cours mondialisées de subvertir les « Etats de droit » nationaux et de proclamer la supériorité de leurs édits sur les Constitutions nationales, qui plus est en frappant les seules démocraties, est une négation absolue des droits des nations à disposer d’elles-mêmes. Ce point est clé. Les cours mondialisées ne s’attaquent qu’aux démocraties, désormais résiduelles, car les dictatures et démocratures ignorent ces cours et s’organisent en Grand Sud pour affirmer leurs projets nationaux. Les dernières nations démocratiques libres et indépendantes, dotées philosophiquement et politiquement du droit souverain de s’autodéterminer librement, font face au double défi de la destruction par les cours mondialisées et de la constitution d’un Grand Sud qui serait heureux de se débarrasser de ces cours et des démocraties. Car même si l’empire des cours n’est dangereux que pour les démocraties, sa prétention universelle est insupportable au Grand Sud.
L’affrontement monte inexorablement en intensité fatale. Les démocraties doivent réaffirmer leur souveraineté ou mourir.
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