Le Figaro – 20/10/2024

ENTRETIEN – L’économiste, qui avait élaboré le contre-budget des Républicains en 2023, salue les orientations prises par Michel Barnier, mais alerte sur la nécessité de réformes structurelles incontournables.

LE FIGARO. – Pour redresser les finances publiques, Michel Barnier défend la nécessité d’un effort évalué à 60,6 milliards d’euros. Ce projet est-il à la hauteur du problème français ?

CHRISTIAN SAINT-ÉTIENNE. – Selon le Haut Conseil des finances publiques, cet effort représente plutôt 40 milliards d’euros, car l’évolution des finances publiques telle qu’elle est évaluée par le gouvernement ne lui semble pas crédible. Il faudrait donc retenir comme base un chiffre intermédiaire. Après analyse, j’arrive à 52 milliards de baisse du déficit, soit 8 milliards de moins que les annonces gouvernementales, mais, ce qui me semble clé dans ce chiffre de 52 milliards, c’est une quasi-égalité entre les hausses de recettes et de mesures de trésorerie d’un côté (27 milliards) et les baisses des dépenses de l’autre (25 milliards). Je note que l’importante mesure concernant le recul de l’indexation des retraites (3,6 milliards) est une mesure de trésorerie, pas une réforme structurelle. Aussi, le gouvernement chiffre cet effort à 40 milliards de réduction de la dépense publique, mais, quand on regarde ce que représente cette mesure en pourcentage de PIB, on obtient 0,4 point, soit seulement 12 milliards entre 2024 et 2025. Ce qui mène à deux conclusions : la première est qu’il faut produire un effort considérable pour obtenir une baisse réelle finalement limitée ; la seconde est que notre système est structurellement porté vers une aggravation de la dépense publique. Il sera donc impossible d’en sortir sans réforme structurelle.

Quelles sont les options dont dispose Michel Barnier dans le contexte actuel ?

Michel Barnier réalise un bel exercice de replâtrage ultime. C’est admirable, mais, selon mes projections, si la baisse atteint 45 milliards en sortie de Parlement au lieu de 60 milliards, ce sera miraculeux. Autrement dit, les mesures annoncées sont indispensables, mais le rocher de Sisyphe reste face à nous. Le premier ministre l’a hissé à 3 mètres, mais nous serons très, très loin du point de bascule qui nous permettrait d’aller vers une réduction tendancielle du déficit. On peut sauver les meubles pour un an, mais il faudra recommencer. Et, même l’année prochaine, je ne vois pas comment nous pourrions renouveler un tel effort hors mesures structurelles très puissantes.

Dans quelle direction le Parlement devrait-il amender ce budget 2025 ?

Compte tenu de la composition actuelle de l’Assemblée, on peut craindre que les trois quarts des propositions ne soient pas raisonnables. Mais, si elles l’étaient, la priorité devrait être d’accentuer significativement la baisse de l’emploi public en se basant sur deux embauches pour trois départs à la retraite. Une autre piste serait de lutter plus fortement contre l’absentéisme par des mesures d’incitation à la productivité. Il faudrait aussi imaginer un nouveau modèle social de santé qui permettrait de réaliser une économie progressive de 3 à 5 milliards par an pour aller vers un équilibre durable de la Sécurité sociale.

Pourquoi personne n’a pu empêcher une dérive de cette ampleur ?

C’est une question socioculturelle. Au moins la moitié des élus français pensent que la dépense publique crée de la richesse et que la dette n’a pas d’importance parce qu’on ne la remboursera pas. Mais ces deux « lois » économiques reprises régulièrement sont fausses. Si la dépense publique créait de la richesse, la France serait le pays le plus développé au monde. Et il est illusoire de croire qu’une dette ne se rembourse pas dans le contexte monétaire qui est le nôtre, car l’euro n’est plus une monnaie nationale. Quand vous êtes endetté dans une monnaie étrangère, vous ne pouvez plus régler le problème via l’hyperinflation ou la spoliation de vos créanciers.

Comment pourrions-nous nous prémunir contre de tels dérapages ?

Pour les éviter, au-delà des réformes structurelles nécessaires, je crois que nous n’échapperons pas à une réforme constitutionnelle intégrant trois règles d’or. Ces trois règles permettraient de mieux contrôler les dépenses de l’État, des collectivités locales et de la Sécurité sociale. Pour l’État, il faudrait imposer le financement de la totalité des dépenses de fonctionnement par des recettes courantes, pour que le déficit ne puisse jamais dépasser le niveau de l’investissement. Pour les collectivités, il faudrait exiger que leurs dépenses de fonctionnement et 60 % de leurs dépenses d’investissement soient couvertes par des recettes courantes. En même temps, il faudrait leur redonner la possibilité de lever à nouveau une taxe d’habitation, sachant que sa suppression fut l’une des grandes erreurs du président Macron. Enfin, pour la Sécurité sociale, dont le budget est essentiellement fait de dépenses de fonctionnement, il faudrait exiger un équilibre obligatoire sur la durée d’un cycle économique de trois à quatre ans.

Que pensez-vous de la comparaison avec la Grèce ?

Elle est un peu déplacée, mais des éléments d’alerte méritent notre attention. Rappelons-nous les Grecs étaient partis sur un déficit public supérieur à 5 points de PIB pour 2009, mais, après l’arrivée d’un nouveau gouvernement en octobre, ce déficit était réévalué à 11 %, puis à presque 15 %. La France est loin de ces niveaux stratosphériques, mais le Haut Conseil a néanmoins relevé une hausse de notre déficit de près de 40 % en 2024. Dans un contexte de paix et de postpandémie, une telle dérive restera un cas d’école. Ce n’est pas une dérive à la grecque, mais, jusqu’à l’arrivée de Michel Barnier, nous étions dans un début de dérapage incontrôlé. Le premier ministre ramène la voiture sur la route, deux roues sont toujours entre la terre et le fossé. Avec une dette à 110 points de PIB, il est minuit moins une, dernier moment avant une crise très grave.

Cette gravité vous semble-t-elle comprise ?

Ce qui me semble ne pas avoir été compris, c’est que les organisations internationales, la Commission européenne et les marchés financiers regardent au moins autant la composition de l’ajustement budgétaire que son niveau. Or, si nous sortons de cette discussion parlementaire avec une baisse du déficit à hauteur de 45 milliards, tous ces observateurs verront que la baisse des dépenses ne représente que 40 %. Et cela sera jugé insupportable pour une économie considérée comme la plus fiscalisée d’Europe, voire peut-être du monde. Passer l’obstacle de l’automne 2024 ne nous épargnera pas la question des réformes structurelles, qui sera posée dès le printemps 2025. Il est possible que les agences de notation dégradent la note de la France dès mars-avril.

Le rôle du président de la République dans le dérapage budgétaire est pointé du doigt. Craignez-vous nouvelles mauvaises surprises ?

La responsabilité d’Emmanuel Macron est considérable, mais je ne crois pas trop aux chiffres cachés. Si nous devions atteindre un déficit au-delà de 6,1 %, une intervention de la Cour de justice de la République pourrait être exigée, pas pour punir, mais pour comprendre ce qui s’est passé.

Le budget est attendu ce lundi en séance publique à l’Assemblée. Quel message adressez-vous aux députés ?

Cette crise des finances publiques, qui est la plus grave depuis la Guerre, exige un changement de modèle économique et social. Une mutation complète de l’action publique s’impose.

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